En 2024, le réseau APP va fêter ses 40 ans. Très novateur dès sa création, le réseau APP est loin d’être passé de mode. Il incarne quatre décennies plus tard une pédagogie de l’autonomie où l’apprenant est réellement l’auteur de son parcours de développement, et non pas seulement, acteur. Ce qui est parfaitement en résonance avec les tendances en cours de la formation. Jean Vanderspelden, expert en pédagogie multimodale, accompagne depuis de nombreuses années le réseau APP. Fin 2023, avec Yamina Bouayad Agha, il a publié un livre « Synthèse & perspectives » sur les pratiques des équipes des Ateliers de Pédagogie Personnalisée. Nous l’avons interrogé pour en savoir plus.
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Jean Vanderspelden, pourriez-vous nous définir en quelques mots ce qu’est le réseau APP ?
En 2024, le réseau rassemble plus d’une centaine d’Ateliers de Pédagogie Personnalisée, portés par des Organismes de Formation, inégalement répartis sur toute la France, DOM/TOM compris. Ces organismes, de nature diverses (Association, CFA, Collectivité Territoriale, Coopérative, GRETA et autres), se retrouvent sur les valeurs et les principes du label pédagogique APP. Ce label, géré par l’AFNOR et qui vaut Qualiopi, est défini par un cahier des charges national porté et actualisé par l‘APapp . En 2023, le réseau des APP a accueilli et accompagné plus de 34 000 apprenants, plutôt féminin et faiblement qualifiés, essentiellement pour faciliter l’insertion et le retour ou la mobilité à l’emploi. Depuis 2016, le réseau des APP a délivré plus de 18 000 certificats CléA.
Quels sont les apports ou avancées en matière pédagogique que l’on peut retenir des 40 ans d’histoire des APP ?
En 1985, avec le premier texte réglementaire de la Délégation à la Formation Professionnelle, le réseau des APP est légalement né avec le principe clé de libre entrée/libre sortie des apprenants, installant de fait l’individualisation des parcours. Tout au long des quarante ans, dans un contexte externe parfois chaotique et, de plus en plus concurrentiel, les équipes des APP ont sans cesse adapté et amélioré leur organisation, leur pratique, leur espace, leurs ressources, pour conforter à la fois, l’individualisation des parcours et la personnalisation de l’accompagnement de chaque apprenant.
L’amélioration des postures d’écoute, de reconnaissance, d’accompagnement, d’aide et de valorisation, assurées par chaque membre de l’équipe d’un APP, constitue une avancée pédagogique durable. Tout au long du parcours multimodal, il s’agit de donner progressivement plus de liberté, et donc, de responsabilité, à chaque apprenant pour qu’il puisse se former et s’autoformer dans des conditions optimisées.
Apprendre à apprendre est au cœur de la pédagogie APP. Dans votre livre, vous faites appel au néologisme « métier d’appreneur ». Comment définiriez-vous ce terme ?
Oui, nous avons fait appel au néologisme « appreneur » pour plusieurs raisons.
D’abord le terme « formateur-formatrice » porte une ambiguïté forte ; celle de « formater ». On ne peut pas former un adulte, mais on doit créer les conditions pour qu’il puisse se former. La qualité de nos actions de formation, APP ou non, dépend donc d’abord de la qualité d’implication des apprenants. Cela relativise beaucoup les démarches diverses de qualité en formation. Nous avons bien obligation de moyen, mais pas de résultat ; ne pouvant pas nous impliquer à la place de chaque apprenant.
Par ailleurs, dans notre livre, nous faisons référence aux travaux de Hélène Trocmé Fabre qui, la première, a évoqué le « Métier d’apprenant », seul métier possiblement durable aujourd’hui. La pratique des APP met l’accent sur la qualité du démarrage du parcours comme un temps clé pour que les apprenants comprennent au plus vite ce qui est attendu : APP Mode D’emploi, Détour créatif, Apprendre à apprendre, Entretien, etc… La négociation du contrat pédagogique entre dans cette dynamique.
La régulation des parcours repose beaucoup sur des échanges et des interactions entre « Apprenant » et « Appreneur » : un collectif rassemblant formatrice-formateur, secrétaire, animatrice-teur du centre de ressources, coordonnatrice-teur, etc… mais aussi, entre « Apprenant » et « Apprenant » ; de la pairagogie ! Cette expression illustre aussi l’horizontalité des échanges entre ceux qui apprennent et ceux qui accompagnent… et apprennent aussi. L’APapp a conçu un référentiel pour le métier de « Facilitateur-trice APP ». Ce document, sans cesse ajusté, est réservé aux membres du réseau. Il « outille » les équipes APP pour permettre aux apprenants d’apprendre à s’autoformer, en vue de se former tout au long et au large de leurs vies. Cela résonne avec le certificat, propre aux APP : « Apprenant Agile ». Les APP délivrent d’autres certifications dont le CléA et, récemment le CléA Management.
Dans les formations classiques, certains formateurs testant des pédagogies dites « actives » ou « interactives » constatent une certaine défiance des apprenants eux-mêmes à l’égard de ces pratiques pédagogiques. Ces derniers préférant in fine des pédagogies plus passives qui sont aussi plus sécurisantes. Comment les formateurs-trices APP font-ils pour lever ces freins à l’apprenance ?
C’est une vraie question. Une grande partie de la réponse se trouve, je pense, dans un alignement pédagogique collectif mettant en cohérence l’objectif d’autonomie dans les apprentissages, une organisation qui donne de la liberté, une guidance et de la variété d’activités aux apprenants (formatives, autoformatives et collaboratives, mais aussi, collectives et individuelles), et enfin, un accompagnement bienveillant et exigeant pour atteindre au mieux les objectifs fixés.
Tous les apprenants, « imprégnés » de leur vécu scolaire plus ou moins positivement, n’entrent pas tous spontanément dans cette dynamique nouvelle de pédagogie active. Cela peut aussi concerner ponctuellement certains formateurs ! Les APP sont bien des acteurs d’Apprenance pour une valorisation ajustée du désir d’apprendre. La partie introductive de notre livre renvoie aux écrits de Philippe Carré sur ce concept qui prend en compte la complexité, la singularité, la fragilité et la fertilité du double acte d’apprendre (interrogations) et de se former (interactions).
La pédagogie APP est axée sur l’individualisation et la personnalisation, pour autant elle ne néglige pas les aspects collaboratifs. Comment les formateurs des réseaux APP parviennent à concilier ce qui est a priori inconciliable : individualisation des parcours et dynamique collective ?
Merci pour cette question qui, 40 ans après, indique parfois une méconnaissance partielle des pratiques APP, liée à une confusion entre individualisation (des parcours) et individualisme (des comportements). Elle demeure sans doute alimentée par la dérive techno-centrée vers la « soloformation », exact opposé de ce qui se passe dans un APP.
Les bénéficiaires ne se forment pas seuls ! En APP, ce sont les parcours qui sont individualisés. Chaque apprenant a sa propre progression avec des dates de début et de fin (différentes des autres), avec un emploi du temps qui prend en compte son statut, ses contraintes, ses disponibilités, sa motivation et, bien-sûr, le financement de sa formation.
Dans cet emploi du temps, plusieurs ateliers thématiques lui sont proposés : des ateliers collectifs (apprendre à apprendre, APP mode d’emploi, bureautique, comptabilité, culture générale, FLE, français, langue, monde actuel, numérique, sciences, etc…), des ateliers collaboratifs, souvent avec l’appui des outils numériques (CléA Numérique) et des ateliers individuels en autoformation accompagnée, essentiellement en Centre De Ressources physique et/ou numérique. L’apprenant alterne ainsi des temps individuels et des temps collectifs toujours accompagnés ; « On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres » ! » comme le dit si bien le professeur Philippe Carré. La pédagogie des APP intègre la dualité de l’apprentissage ; un acte intime et social, à la fois.
Vous parlez dans votre livre, du « Moment Kairos » au cours d’un apprentissage. Pourriez-vous nous en dire plus ? Est-ce différent de l’instant Eurêka ! Et en quoi, la prise de conscience pour la formatrice-teur de ces moments Kairos peut orienter sa pratique ?
Le renforcement de la compétence transversale européenne « Apprendre à apprendre », au cœur de pratiques des APP, réinterroge nos rapports aux savoirs, aux autres, à nous même, aux outils, à l’espace et aux temps. Marcel Lebrun nous rappelle que l’apprentissage n’est pas un processus linéaire, mais une succession d’ordre et désordre, de clair et d’obscur, de formel et d’informel, d’échec et de réussite, de doute et d’acquisition, etc… propre à chaque apprenant. Dans cette perspective, selon les parcours, les équipes peuvent travailler avec les apprenants sur le concept « Kaïros ».
Au cours de ces ateliers collectifs réflexifs, les formateurs accompagnent les apprenants vers la conscientisation des moments décisifs de leurs apprentissages grâce notamment au « Journal Kaïros ». Les apprenants s’exercent à verbaliser, sous différentes formes et modalités, les savoirs faire qu’ils mobilisent au quotidien dans les situations vécues à l’APP, mais aussi à l’extérieur de l’APP. Il s’agit de prendre du recul sur nos conditions temporelles d’apprentissage pour les reconnaitre et les améliorer : prévoir, anticiper, valoriser, se concentrer, reproduire, profiter, etc… ; « descendre de son vélo pour se regarder apprendre » ! Cela résonne avec l’instant Eurêka que C-Campus a mis en valeur sur son Blog – cf. notre article sur le sujet.
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Un mot de fin ?
En 2023, le réseau a décidé de l’extension du label APP . Il peut s’appliquer, sous conditions, sur des actions de formation autres que celles liées au Socle de Connaissances et de Compétences Professionnelles. Cela ouvre de nouvelles perspectives pour le déploiement des pratiques fertiles, toujours originales des APP.
Enfin, le livre, présenté dans cette interview, a été intégralement corédigé sans l’appui des outils générateurs intégrant l’Intelligence Artificielle. En 2024 dans son programme de professionnalisation des équipes APP, l’APapp a intégré un nouveau module : « APP & IA, la nouvelle donne » ; une manière d’illustrer l’un de adages des APP : « Apprendre pour s’adapter » et « S’adapter pour apprendre ».
Retrouvez Jean Vanderspelden sur son site en cliquant ici.