Trois ans, quasiment jour pour jour, après la promulgation de la loi portant réforme de la formation professionnelle, Julie Platek, Learning manager chez Bouygues Immobilier nous livre sa vision de la réforme et l’impact qu’elle a eu dans son quotidien de professionnelle de la formation.
Quels sont selon vous les principaux effets de la réforme de la formation ?
Sur la partie financière, l’investissement formation a toujours été une priorité pour Bouygues Immobilier, considérant que le facteur humain est un facteur différenciant. La réforme n’a donc pas eu d’effet majeur. Nous ne déléguions pas notre budget formation à notre OPCA. La fin du 0,9% n’a donc pas eu d’impact sur notre investissement.
Au cours de ces trois dernières années, notre effort de formation a augmenté et s’élève aujourd’hui au-dessus de 4%. La formation est plus que jamais un moyen au service des projets stratégiques de transformation de Bouygues Immobilier.
La réforme de la formation a été une opportunité pour accélérer la digitalisation. La loi du 5 mars 2014, et notamment le décret qualité, a ouvert le champ des possibles. Jusqu’à un passé récent nous étions 100% présentiel. La réforme nous a conduit à nous ouvrir sur toutes formes de formation : webinar, tutorat, MOOC… Car nous n’avons plus l’obligation de rester figé sur le modèle du stage. Aujourd’hui, nous avons une approche systématique de mixer les modalités d’apprentissage.
Vous n’évoquez pas le CPF. Vous a-t-il amené à faire évoluer vos pratiques de formation ?
Nos salariés sont déjà très fortement diplômés avec 78% de cadres. Jusqu’à présent, nous ne nous étions pas appuyés sur le dispositif du CPF mais nous sommes amenés de plus en plus à accompagner les collaborateurs vers ce dispositif pour répondre à des besoins individuels comme l’anglais par exemple. Le CPF s’inscrit dans la volonté de rendre les collaborateurs acteurs de leur développement.
La réforme a-t-elle eu un impact important sur l’organisation de votre service formation ?
Sans le savoir, nous avions préparé l’arrivée de la réforme ! Dès 2013, nous avons mis en place une délégation d’activité concernant les aspects administratifs et logistiques. Quand la réforme a eu lieu, nous étions libérés de tâches administratives de gestion du plan de formation. Nous avons donc pu nous mobiliser sur nos réelles activités de développement.
Nous nous sommes consacrés entre autre à la création et l’animation d’un réseau de formateurs internes. Nous sommes passés de 5% à plus de 30% de notre volume de formation réalisé en interne.
Ensuite, nous avons investi dans une plateforme LMS et nous avons diffusé nos premiers modules de formation en ligne pour acculturer nos collaborateurs. Enfin, aujourd’hui, nous passons à une troisième étape : la mise en place d’un studio de vidéo-learning. Nous avons créé notre propre studio d’enregistrement et nos formateurs internes peuvent réaliser leurs propres vidéos pédagogiques. Cet outil, situé au siège est ouvert à tous, aussi bien nos commerciaux que tout collaborateur souhaitant utiliser la vidéo comme vecteur de communication.
Tous ces projets vous-ont-ils amenés à repenser votre métier ?
Oui, notre métier a beaucoup évolué ! C’est symbolique, mais nous sommes en train de changer la dénomination des postes. De Responsable de formation, je deviens Learning Manager. Mon métier n’est plus de gérer des plans de formation. Les aspects administratifs ne représentent plus que 10% de mon temps. Aujourd’hui, je consacre mon temps à accompagner les directions opérationnelles dans l’accompagnement pédagogique de leurs projets de transformation. Le terme de formation était trop réducteur. On utilise aujourd’hui tous formats d’apprentissages du présentiel à la formation en situation de travail en passant par la formation à distance. Ma posture n’est plus la même. Un learning manager est avant tout un business partner.
Avez-vous dû développer de nouvelles compétences pour remplir ces nouvelles missions ?
Mon portefeuille de compétences s’est sensiblement élargi. Hier, il reposait sur la gestion et l’administration. Aujourd’hui, mes compétences sont à la fois digitales, pédagogiques, gestion de projets et communication.
Dans un service formation moderne, nous devons savoir faire fonctionner une plateforme LMS, produire nous-mêmes des contenus variés en E-Learning et vidéo-learning, gérer chaque nouvelle formation comme un projet et enfin savoir communiquer et faire le marketing de nos formations. Le métier de learning manager est passionnant, car très polyvalent.
Comment vous êtes-vous formée pour acquérir ces nouvelles compétences ?
L’essentiel est de faire de la veille. Sans la veille, on ne fait rien. Je consulte des blogs, je fais partie de réseaux de learning managers, j’assiste à des salons… J’essaie de comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas en prenant soin d’analyser le contexte des entreprises. Ce qui peut être un succès dans une entreprise, ne peut pas forcément être appliqué chez nous.
Ensuite, c’est un travail d’équipe. On discute, on se forge nos convictions. On les défend auprès de la direction, et enfin on les teste et on apprend à partir des premiers retours d’expériences.
Il faut se méfier des modes en formation. Tout le monde parle par exemple des MOOCs. Mais ce format pédagogique ne s’applique pas à tous les contextes. Le marketing de la formation peut être parfois trompeur. C’est à nous d’être prudent, et de bien faire la différence entre les solutions vendues pour produire seulement des « effets Waouh ! » et celles qui ont de véritables « effets pédagogiques ».
Certains, comme Jean-Pierre Willems, pensent que le métier de responsable de formation va disparaître. Craignez-vous pour votre employabilité ?
Les directions générales des entreprises ont besoin, plus que jamais, du service formation pour accompagner leur transformation et favoriser le développement des collaborateurs.
Le métier de responsable de formation va muter vers le métier de learning manager. Il sera beaucoup plus digital et plus proche des opérationnels tout en gardant sa dimension pédagogique. Si nous savons évoluer, et nous-mêmes nous transformer, nous n’aurons aucun problème. Je suis confiante dans l’avenir.