A première vue, l’AFEST étant une formation en situation de travail, elle devrait être logiquement réalisée par des formateurs internes. Le décret sur l’AFEST va incidemment dans ce sens puisqu’il fixe comme une exigence “la désignation préalable d’un formateur pouvant exercer une fonction tutorale”. Une lecture rapide, nous conduirait à assimiler l’AFEST à un tutorat revisité ou à une formation interne qui ne se déroulerait plus en salle de formation mais au poste de travail encadré par un pair jouant le rôle de “super tuteur”.
En fait, aussi bien les pratiques pédagogiques et de prise en charge que les textes réglementaires conduisent à une AFEST réalisée par des formateurs externes qu’ils soient consultants indépendants ou salariés d’organismes de formation. Voici résumé cinq arguments qui vont dans ce sens.
Une pédagogie de la réflexivité et non pas de la simple imitation du geste
Il faut lire le 3ème alinéa du décret sur l’AFEST pour bien comprendre la portée de l’action de formation en situation de travail :
” La mise en œuvre d’une action de formation en situation de travail comprend :
… 3° La mise en place de phases réflexives, distinctes des mises en situation de travail et destinées à utiliser à des fins pédagogiques les enseignements tirés de la situation de travail, qui permettent d’observer et d’analyser les écarts entre les attendus, les réalisations et les acquis de chaque mise en situation afin de consolider et d’expliciter les apprentissages”
L’AFEST, c’est une pédagogie basée sur la prise de recul de l’apprenant sur son travail. En AFEST, on apprend en mettant à distance son travail et en le conceptualisant. Il ne s’agit pas de reproduire le geste du Maître à l’identique mais plutôt d’expérimenter et d’apprendre de ses façons de faire ou de l’observation de ses pairs, pas forcément d’un expert.
Partant, l’apport du formateur n’est pas de faire devant l’apprenant, mais de le questionner afin de lui permettre de tirer le meilleur bénéfice de l’expérience vécue. C’est probablement l’entretien de réflexivité qui est la séquence la plus importante dans une AFEST. Et cette séquence peut être réalisée par un tuteur interne, mais également et surtout, par un formateur externe. On nous demande souvent qui est le mieux placé des deux pour réaliser ces entretiens de réflexivité. Notre réponse dépend du profil du “sachant”. Qu’il connaisse le métier est souvent une bonne chose, mais s’il est trop impliqué dans la situation de travail, il en devient incapable de s’en extraire et son questionnement s’assèche. Il préfère dire comment il faut faire plutôt que d’amener l’apprenant à trouver par lui-même comment il doit s’y prendre. C’est pourquoi le formateur externe qui n’est pas au quotidien dans la situation de travail peut souvent avoir davantage de prise de recul.
Poussé à l’extrême, il est possible de faire de l’AFEST à distance. Dans la mesure où l’apprenant peut expérimenter seul ou sans prendre de risque, l’accompagnement par des entretiens de réflexivité peut se faire sans difficulté via un outil de Visio. Et ceci est d’autant plus vrai que l’AFEST ne se limite pas, loin de là, à l’apprentissage du geste “physique”. On peut apprendre à manager des projets ou des équipes, à former, à vendre… en AFEST. Et dans tous ces parcours, le formateur peut très bien être externe et accompagner à distance les apprenants.
Une maîtrise des savoirs indissociables du savoir-faire et du savoir-être
L’AFEST, c’est se former pour le travail par le travail. On apprend à maîtriser son poste (ou une partie) en se mettant dans des situations de travail apprenante. Mais ce n’est pas pour autant que les savoirs, les connaissances théoriques et méthodologiques sont à exclure d’un parcours d’AFEST. Bien au contraire. Maîtriser une situation de travail, c’est avant tout la comprendre. C’est être capable de relier les informations entre elles sur la situation elle-même. C’est faire acte de “systémacité” pour reprendre les termes de J.S Brunner. C’est penser les relations de cause à effet, les liens entre action et buts.
Qui mieux qu’un organisme de formation est capable de faire acquérir ces savoirs méthodologiques en amont et en aval des mises en situation de travail ? Ces savoirs sont travaillés, formalisés et parfois mêmes digitalisés pour des formations présentielles ou distancielles depuis des années dans les organismes de formation, tandis que les entreprises qui s’engagent seules dans l’AFEST doivent tout créer. C’est un investissement colossal pour les entreprises, surtout les plus petites.
Une ingénierie pédagogique qui nécessite un réel professionnalisme
Combiner séquences de mise en situation de travail, de réflexivité et d’acquisition de savoirs théoriques et méthodologiques exige de la part des formateurs un minimum de maîtrise des fondamentaux de la pédagogie et des techniques d’ingénierie pédagogique. Or cette maîtrise ne s’acquiert pas en quelques heures, voire quelques jours. Il faut apprendre et expérimenter. On est loin des “simples” compétences de tuteurs, fut-il certifié MATU.
Savoir-faire une ingénierie d’AFEST relève davantage des compétences de concepteurs de formation que d’animateur de formation ou de Maître d’apprentissage. Or ces compétences sont rares en entreprise, alors qu’elles sont courantes dans les organismes de formation. Alors pourquoi s’en priver ?
Une évaluation qui nécessite un regard extérieur
Un AFEST, c’est un parcours de formation au dispositif d’évaluation soigné :
- En amont, pour personnaliser ;
- En cours, pour mesurer la progression et, le cas échéant, faire évoluer le parcours ;
- En aval, pour valider les compétences acquises.
Lorsque ce dispositif d’évaluation est mis en oeuvre exclusivement en interne, l’entreprise et l’apprenant se privent de deux avantages principaux :
- L’objectivité de l’évaluation. Créer des outils et protocoles d’évaluation rigoureux et adopter une posture de non jugement sont des savoirs-faire qui, là-aussi ne s’improvisent pas. Les formateurs externes sont généralement mieux placés pour conduire ces évaluations que les formateurs internes ou tuteurs.
- Liens avec les certification reconnues. Pour que l’AFEST acquière ses lettres de noblesse, elle doit permettre l’acquisition de certification au même titre qu’une formation présentielle ou distancielle. Or sauf exception, les entreprises ne maîtrisent pas le déploiement des certifications externes reconnues au RNCP ou RS. Travailler avec un organisme de formation, c’est s’ouvrir le champ d’une formation validée et reconnue à l’échelon national intra ou inter branches professionnelles. La formation prend ainsi une autre dimension.
La nécessité d’un tiers de confiance pédagogique
Pour les co-financeurs de la formation (OPCO, Pôle Emploi, Région…) l’AFEST est une modalité complexe. Le nombre d’heures est difficilement traçable (quand travaille-t-on ? quand se forme-t-on ?) et le respect des règles de qualité de type Datadock ou Qualiopi exige une certaine adaptation.
Financer une AFEST organisée par un organisme de formation ou un formateur indépendant représente d’une certaine façon un gage de sécurité. Le formateur externe peut représenter aux yeux du financeur une caution de qualité pédagogique. Les règles des référentiels Datadock, et demain Qualiopi, peuvent alors s’appliquer. Il est possible d’évaluer à travers des démarches de référencement les compétences en ingénierie et accompagnement d’AFEST. Bref, l’AFEST devient beaucoup plus traçable et contrôlable.
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