L’apprenance est selon Philippe Carré[1] « un ensemble stable de dispositions affectives, cognitives et conatives, favorables à l’acte d’apprendre, dans toutes les situations formelles ou informelles, de façon expériencielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite ». C’est en quelque sorte la mère de toutes les compétences puisque de notre niveau d’apprenance, correspondent nos capacités à apprendre efficacement.
Aujourd’hui, le concept d’apprenance est, à juste titre, très populaire au sein de la communauté des formateurs et décideurs de la formation. Il renvoie à une nouvelle façon d’appréhender la formation, en nous invitant à changer d’angle de vue. Pour optimiser les systèmes de formation, il ne s’agit plus seulement de se focaliser sur le formateur, transmetteur de connaissance, mais de se mettre à la place de l’apprenant et de mieux comprendre comment il s’y prend pour apprendre.
Épousant cette nouvelle approche de la formation, nous avons mis en place chez C-Campus de nombreux dispositifs de formation fondés sur une pédagogie de l’apprenance. Au fil de nos lectures et des observations d’apprenants que nous avons accompagnés, nous avons constaté de façon totalement empirique (et non malheureusement faute de temps, de façon scientifique), que les apprenants au sein de nos dispositifs mettaient en œuvre, plus ou moins bien, une dizaine de principes ou de clés pour bien apprendre. Nous les résumons dans cet article.
Pour aller plus loin… voir notre article sur le concept d’apprenance – cliquez ici.
1- Adopter la bonne attitude face l’apprentissage
Caroll Dweck[2] nous rappelle que les personnes qui réussissent le mieux, sont celles orientées « Esprit de développement » ou growth-minded plutôt « qu’esprit figé » ou fixed minded. Nous avons pu constater effectivement que les personnes, notamment celles s’engageant dans des parcours longs, s’en sortent mieux, quand elles sont ouvertes à l’apprentissage, ne craignent pas de sortir de leur zone de confort ou encore sont prêtes à se remettre en cause et sont capables de porter un jugement objectif, quant à l’attribution d’un échec ou d’une réussite.
Cette orientation face à l’acte d’apprendre est probablement une dimension majeure de l’apprenance. Elle relève pour une part de l’acquis, mais elle peut être cultivée par le formateur et les dispositifs de formation; en travaillant par exemple l’organisation des évaluations, l’ambiance en formation, l’esprit d’entraide, etc.
2- S’organiser et planifier son apprentissage
Apprendre sans y consacrer du temps, est un mythe que certains “marketeurs en techno-pédagogie” voudraient nous laisser croire. Les apprenants efficaces sont, sauf exception, organisés, capables d’élaborer leur « Environnement d’apprentissage personnel », de planifier leurs temps de formation et d’auto formation dans la journée, à la semaine voire au trimestre. Cette capacité d’auto-organisation devient d’autant plus importante, que la modalité présentielle se réduit à sa portion congrue. Hier, le formateur en salle organisait pour ses stagiaires le temps d’apprentissage. Aujourd’hui, en AFEST, en auto-formation digitale et même en classe virtuelle, cette responsabilité est transférée à l’apprenant.
3- Définir et adapter sa stratégie d’apprentissage
Il en est de même pour la progression pédagogique. Dans des dispositifs traditionnels, c’est le formateur qui conçoit la progression. Dans des formations ouvertes, ce sont les apprenants qui la déterminent au fil de leur parcours.
Nous le constatons notamment dans les parcours de digital learning non guidés. L’apprenant devient stratège. Il lui revient souvent de décider par quelles compétences il doit commencer son parcours, puis par lesquelles il doit enchaîner.
Sa capacité à distinguer les apprentissages profonds qu’il doit faire au départ pour mieux profiter ensuite d’apprentissages superficiels, sont une condition non négligeable de sa réussite.
4- Développer ses capacités d’attention et de concentration
A l’ère du Game[3], rester concentrer sur un apprentissage, devient une gageure. Et pourtant, le spécialiste des neurosciences en éducation, Olivier Houdé nous le dit clairement : point d’apprentissage sans « résistance cognitive ».
Les apprenants qui réussissent leurs parcours ont des capacités élevées d’attention et de concentration. Et comme nous le rappelle Jean-Philippe Lachaux[4], être attentif et se concentrer peut s’apprendre également, notamment par des techniques de micro planification et en organisant au mieux son environnement matériel et virtuel au moment de ses temps d’apprentissage les plus importants.
Dans les réflexes incontournables à adopter citons-en deux essentiels : 1) supprimer les distracteurs sensoriels (notifications, bruits, inconforts du type chaleur, mobiliers et peintures agressives…), 2) clarifier ses intentions ou objectifs avant chaque activité d’apprentissage (notamment en ce qui concerne la lecture : “rapide”: pour évaluer la pertinence du texte ou rechercher une information précise, “normale”, pour en retirer l’essentiel, “approfondie” pour l’utiliser et/ou l’expliquer.
5- Pratiquer le modelage
Une majorité de nos apprentissages se font par imitation. A l’inverse de ce que l’on croit, l’apprentissage par modelage n’est pas toujours naturel, il peut aussi s’apprendre. Mettre en place des stratégies d’observation peut accélérer nos apprentissages.
S’interroger sur ce qu’il faut observer chez une personne “modèle”, poser des hypothèses sur ce que va faire son “modèle”, se mettre à sa place pour comprendre ce qu’il ressent et ce qu’il se représente, porter un début d’évaluation de ce qu’il a fait et lui partager, l’interroger sur les raisons qui l’amènent à faire comme il le fait, etc., sont autant de principes qui peuvent décupler l’efficacité d’un apprentissage par imitation.
6- Pratiquer la réflexivité
D’une manière générale, plus je réfléchis à ce que je fais, plus j’apprends. On vient de le voir dans le principe précédent du modelage. C’est encore plus vrai quand on se retrouve à apprendre seul; en situation de travail. Réfléchir avant l’action, pendant et surtout après l’action, détermine la qualité de son apprentissage.
Cette réflexivité est pour une bonne part naturelle. Essayez de monter une armoire Ikea © et vous verrez que vous ne ferez pas que suivre bêtement le plan indiqué, mais que vous y mettrez beaucoup d’intelligence dans l’action !
Mais la réflexivité s’apprend aussi. C’est à la fois une posture : prendre de la distance par rapport à son action, se mettre en position meta ou hélicoptère. Ce sont également des techniques de questionnement qui permettent de réfléchir avec méthode sur son action (cf.notre article sur la réflexivité pour aller plus loin… cliquez ici).
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7- Jouer collectif
On n’est jamais compétent seul. On a toujours besoin des autres et de son environnement (base de connaissances, outils, méthodes…) pour être efficace. Penser et savoir mobiliser des ressources autour de soi pour agir en « professionnel compétent », est par conséquent une condition de succès.
Savoir interagir avec ses pairs, solliciter des experts, mobiliser des compétences périphériques, se créer des environnements de travail et d’apprentissage performants, sont des principes à respecter pour répondre aux attendus en toute circonstance.
Apprendre à « jouer collectif » s’apprend également. Là aussi, c’est surtout une affaire de posture, mais c’est également une histoire de liens tissés. Quand on observe les grands professionnels et experts, par exemple, on constate facilement que les réseaux qu’ils ont constitués, les liens et passerelles qu’ils ont créés, sont loin d’être anodins. C’est un long et patient cheminement, rythmé par des dons et contre-dons successifs.
8- Solliciter du feedback et s’auto évaluer en permanence
Mesurer ses acquis, savoir si ce que l’on fait est bien fait, obtenir un retour de ses pairs, ses clients ou sa hiérarchie sont indispensables pour progresser. Sans ces retours, comment savoir si l’on n’a pas fait de « mesapprentissages » ? Comment gagner de la confiance en soi ? Comment passer à une autre étape de son parcours ?
Mais certains apprenants savent mieux solliciter ces retours, que d’autres. Certains savent bien s’auto évaluer en s’attribuant objectivement les succès comme les échecs. D’autres préfèrent demander à leur entourage, d’autres encore ont besoin de se confronter à l’avis d’un maître ou d’un sachant. Quelle que soit la méthode pour y parvenir, mettre en place des stratégies d’auto ou co-évaluation est déterminant pour apprendre de façon efficace.
9- Pratiquer la veille et s’alimenter en permanence de nouvelles connaissances
Apprendre, c’est surtout une affaire de pratique, mais également de connaissances. Dans un monde où les innovations se succèdent de plus en plus vite, les professionnels de tous les métiers doivent se tenir à jour de l’évolution de “l’état de l’art” des connaissances. Un plombier ou une aide-soignante, au même titre qu’un informaticien ne peuvent plus figer leur pratique professionnelle. Ils doivent l’alimenter par une veille en permanence.
Or, organiser sa veille permanente, s’apprend comme tout le reste. Elle peut passer évidemment par des outils digitaux mais pas seulement. Fournisseurs, collègues, clients, pairs, etc. peuvent être des ressources très simples et très utiles de veille.
10- Réguler son niveau d’engagement et adapter sa façon d’apprendre
Dernier étage à la fusée de l’apprenance : savoir réguler sa façon d’apprendre. Depuis le début des années 1990, les pédagogues ont fait de cette capacité de régulation un des facteurs clés de succès de la formation et, surtout, de l’auto-formation.
Dans nos pratiques quotidiennes de formation, nous constatons régulièrement que les personnes capables à la fois de gérer :
- leur niveau d’engagement : ni trop peu pour conserver une motivation a minima, ni excessivement pour ne pas perdre son sentiment d’efficacité personnelle,
- leurs stratégies d’apprentissages (utiliser notamment tous les principes que nous venons de voir),
- et de se bâtir des projets d’apprentissage à la fois ambitieux et réalistes…
…sont celles qui semblent réussir le mieux.
Mettre en place dans nos dispositifs de formation des temps d’accompagnement favorisant la régulation et la remédiation est une condition essentielle de succès.
Les 10 clés que nous venons de voir ne sont probablement pas les seules pour permettre à des apprenants de se former plus efficacement. Mais pour les formateurs et formatrices engagé(e)s dans des pratiques, non plus de simple transmission mais de facilitation, les avoir en tête lors de la conception et de l’animation de dispositifs de formation ne peut être que bénéfique !
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[1] Pour aller plus loin, lire les deux ouvrages de Philippe Carré sur la question : « L’apprenance, vers un nouveau rapport au savoir » Dunod 2005 et « Pourquoi et comment les adultes apprennent – De la formation à l’apprenance » Dunod 2020.
[2] Caroll Dweck « Changer d’état d’esprit : une nouvelle psychologie de la réussite » Mardaga.
[3] Alessandro Baricco « The Game » Folio
[4] Jean-Pierre Lachaud « L’attention, ça s’apprend ! » MDI Atole