Ce sera donc Macron ! Et pour la formation, ce n’est peut-être pas sans conséquence. Son programme n’était pas d’une extrême précision, mais quelques prises de position du candidat et de son équipe nous indiquent la voie d’une nouvelle réforme de la formation. Décryptage.
Un investissement accru dans la formation des demandeurs d’emploi
Une chose est quasi sûre la formation des demandeurs d’emploi sera une des priorités du prochain quinquennat. L’idée du Président Macron est de s’inspirer des modèles du Nord de l’Europe de flexisécurité. Toute personne qu’elle soit salariée ou non salariée devrait avoir droit au chômage et se voir proposer des actions de formation pour renforcer son employabilité et ainsi retrouver plus rapidement une activité.
Conséquence, un grand plan d’investissement dans la formation des demandeurs d’emploi devrait voir le jour. Ce plan devrait pérenniser le “plan 500.000” du Président Hollande. Mais cette fois-ci, il faudra trouver un financement pérenne. Et pour le candidat Macron, la solution est finalement assez simple, il faut réformer en profondeur le système de formation en entreprise.
Ce qui signifie probablement remettre en cause le paritarisme de gestion (OPCA, FONGECIF, FPSPP…) et réallouer les versements obligatoires des entreprises vers les demandeurs d’emploi. Ce sera simple avec la contribution FPSPP (c’est déjà en parti fait). Ce sera plus compliqué avec la contribution 0,4% Professionnalisation. Aujourd’hui, cette dernière sert à financer les contrats et périodes de professionnalisation. L’idée qui va probablement prévaloir est de rapprocher les deux contrats en alternance : contrat de professionnalisation et contrat d’apprentissage. Si ce vieux serpent de mer de la formation apparaît enfin, il ne sera pas bien difficile de supprimer cette contribution, ou plus exactement de la fondre avec la taxe d’apprentissage.
Extrait des prises de position d’Emmanuel Macron :
« Ce que je propose, c’est une sécurité professionnelle nouvelle qui induit de nouveaux devoirs, mais assortis de nouveaux droits à la formation et à la qualification tout au long de la vie »
Demain, 15 milliards d’euros de notre plan d’investissement seront consacrés à l’acquisition des compétences par ceux qui en ont le plus besoin. C’est un effort sans précédent, à la hauteur de nos besoins.
Nous investirons massivement dans l’acquisition des compétences.
- Nous formerons 1 million de jeunes peu qualifiés éloignés de l’emploi.
- Nous formerons 1 million de chômeurs de longue durée faiblement qualifiés.
- Nous poursuivrons la généralisation de la garantie jeunes. Ce parcours d’accompagnement intensif assorti d’une allocation sera proposé à tous les jeunes précaires ni en formation ni en emploi.
La majeure partie des contributions actuelles des entreprises pour la formation sera progressivement convertie en droits individuels pour les actifs.
La fusion CIF – CPF
Que restera-t-il des fonds de la formation si le 0,2% FPSPP sert à financer la formation des demandeurs d’emploi et le 0,4% professionnalisation fusionne avec la taxe d’apprentissage ? Le 0,2% CIF et le 0,2% CPF. C’est pour cela que le candidat Macron a indiqué via son équipe de campagne qu’il proposera une fusion CIF-CPF.
Cette proposition ne surprendra personne et ne fera que simplifier le système de formation qui depuis le milieu des années 1990 vit difficilement avec trois voies de formation pour les salariés en entreprise. Le plan de formation à la main de l’entreprise, le Congé individuel à la main du salarié et une troisième voie hybride bâtie sur un beau principe de co-construction entre le salarié et l’employeur mais qui dans la pratique n’a jamais prouvé son efficacité. Après le CTF (capital temps formation), puis le DIF (droit individuel à la formation), on a imaginé le CPF (compte personnel de formation) pour enfin le transvaser dans le CPA (compte personnel d’activité). Mais les changements d’acronymes et les améliorations successives des dispositifs n’y ont rien fait. Cette troisième voie est pour la formation quasi introuvable.
La fusion qu’a proposé le Candidat Macron au cours de sa campagne est in fine assez radicale. Il veut redonner le pouvoir à “l’actif”. Il faut entendre par là, pas seulement le salarié, mais tout autant le demandeur d’emploi qui pourra être aussi bien un ancien salarié, qu’un bénévole, ou un ancien entrepreneur ou auto-entrepreneur.
Fini donc les listes CPF, fini aussi les priorités de branche. “L’actif” sera face à l’organisme de formation et pourra choisir lui-même sa formation. Les contributions 0,2% CIF et 0,2% CPF fusionnées pourront lui permettre de la financer. Il y aura donc bien un risque de voir un transfert des fonds du CIF et CPF plus ou moins importants de la formation des salariés vers celui des demandeurs d’emploi en devenant un dispositif ouvert aux actifs.
On se dirige tout droit vers un système de “chèque formation actif”. L’idée avait germé dès 2004 lors de la création du DIF, mais le décret n’a jamais paru. Nos amis Belges l’ont fait. Le débat fut vif au moment de la création du CPF. Mais le principe fut écarté par les négociateurs paritaires car ils estimaient que le marché de la formation n’était pas mûr pour cela.
Extraits du programme Macron
“Le système de formation doit être entièrement réformé. A l’heure actuelle, l’accès à la formation est un parcours d’obstacles, et les choix sont souvent limités à des listes de formations qui ne correspondent pas toujours aux aspirations individuelles, ni aux besoins du marché du travail. On ne connaît pas la qualité ni les débouchés des formations proposées.
La majeure partie des contributions actuelles des entreprises pour la formation sera progressivement convertie en droits individuels pour les actifs. Chacun pourra s’adresser directement aux prestataires de formation, selon ses besoins. Le système sera simple.”
Un accompagnement et un contrôle de la qualité accrus
D’où le troisième étage du sytème de formation imaginé par les équipes d’Emmanuel Macron. Si on transfère les fonds de la formation des salariés aux demandeurs d’emploi et qu’on laisse seul les actifs choisir leur formation avec leur “chèque formation”, il convient évidemment de les “armer” pour les aider à bien choisir leur formation.
Deux axes de travail sont alors à investir. Le premier porte sur l’offre de formation. Celle-ci doit être de qualité. Ce qui se traduit inéluctablement par une offre labellisée, référencée, contrôlée… Si le marché passe du BtoB au BtoC, il faut une médiation, puisqu’il s’agit d’argent plus ou moins public. Cela ne surprendra donc personne que le candidat Macron prônait, directement dans son programme, un renforcement de la labellisation des organismes et, indirectement, le développement des formations certifiantes (formation = impact sur la “trajectoire salariale”).
Le second axe relève de l’accompagnement. Les actifs face au marché de la formation auront besoin d’un accompagnement pour les aider à choisir leur formation. Les seuls labels ne suffiront pas pour faire leur choix. A l’image du marché de la santé, les contrôles qualité des produits pharmaceutiques ont beau être d’une exigence sans faille (ou presque), il n’en reste pas moins que le médecin accompagne le patient dans la prescription médicamenteuse. Il devrait en être de même pour la formation. Et il existe un dispositif récent pour cela, c’est le CEP ou conseil en évolution professionnelle.
“Chacun disposera d’une information complète sur les résultats concrets de chaque formation, de chaque accompagnement (retour à l’emploi, impact sur la trajectoire salariale…) car tous les organismes seront obligés de se soumettre à une labellisation et d’afficher leurs performances : plus personne ne s’engagera dans une formation sans savoir à quoi elle mène ni quelle est sa qualité. Le système sera transparent.”
En conclusion : la question des OPCA au coeur des futurs débats législatifs
A y regarder de près, c’est une énième transformation en profondeur que le candidat Macron appelait de ses voeux. La première question à se poser aujourd’hui est : le Président Macron sera-t-il capable de la mettre en oeuvre ?
La réforme en profondeur des fonds de la formation et une certaine “libéralisation” du marché de la formation risque de fédérer les oppositions. En premier lieu, le paritarisme de gestion qui devrait subir l’essentiel des dégâts collatéraux de cette réforme ne devrait pas y être très favorable. C’est un euphémisme de le dire ! Que restera-t-il de la mission des OPCA, s’ils ne collectent plus les fonds de la formation, ne gèrent plus le CPF, ni le contrat de professionnalisation ? Leur seul rôle d’appui aux politiques de branches suffira-t-il à justifier leur existence ? Ira-t-on alors tout droit vers la suppression pure et simple des OPCA pour créer un grand Pôle Emploi Formation ? Cette proposition était portée en 2012 par le candidat Sarkozy et n’avait pas reçu un grand écho favorable. Pas sûr que le patronat et les syndicats de salariés ne fassent pas à nouveau front commun, comme ils viennent de le faire sur la négociation de l’assurance chômage.
Notre conviction, et nous l’avons déjà dit dans ce blog, est qu’il y a une place pour des OPCA affranchis de leur mission de banquier. En appui des branches, ils pourront jouer un rôle déterminant dans la régulation de l’offre de formation et l’accompagnement des salariés. Mais, le futur Législateur saura-t-il penser cette évolution ou irons-nous vers un pur et simple affrontement entre tenant de la suppression des OPCA et défenseur du rôle de banquier ?
En attendant de voir qui sortira vainqueur de ce combat, il est clair que la prochaine réforme de la formation professionnelle ne sera pas sans conséquence sur les responsables de formation, organismes de formation et bien entendu les apprenants eux-mêmes.
Pour les premiers, ils doivent se préparer à penser les budgets de formation des années 2020 avec des co-financements réduits à leur portion congrue. La digitalisation et la reconnaissance de la formation en situation de travail devraient leur permettre de passer cette échéance sans trop difficultés. Mais encore faut-il s’y engager sans trop tarder.
Pour les deuxièmes, la course à la labellisation et aux formations certifiantes ne fait que commencer. Le Data-dock n’est qu’un amuse-bouche ! Du référencement, on passera très vite au Label Qualité pour les organismes et à la qualification certifiée pour les formateurs eux-mêmes, comme cela est déjà le cas dans la plupart des métiers en contact avec le public ou impactant la sécurité. Du financement des formations certifiantes, on se dirigera vers une obligation de résultat et un co-financement conditionné à l’obtention de la certification.
Enfin, n’oublions pas ceux pour qui tout ce système existe. Espérons que cela soit réellement plus simple et plus efficace pour eux. A chaque, réforme, on nous refait le coup de la simplification et de l’efficacité ! Pour ma part, cela fera 30 ans l’an prochain que j’exerce dans les métiers de la formation et j’ai un peu de mal à croire encore à ces vieilles lanternes !
Pour plus d’informations :
Le programme d’Emmanuelle Macron