Pour développer les compétences d’une personne en situation de travail, trois approches existent : le modelage, le feedback et la réflexivité. Dans le cadre des formations au tutorat et à l’AFEST que nous réalisons, nos apprenants nous interpellent souvent pour savoir quelle est la meilleure technique. Inlassablement, nous répondons qu’il n’y en a pas de meilleure. Les trois sont complémentaires. Il suffit de bien les choisir, en fonction du contexte d’apprentissage. Et pour ce faire, il faut connaître les caractéristiques, les avantages et les limites de chacune d’entre elles. C’est ce que vous allez découvrir dans cet article.
Le modelage : la meilleure façon pour débuter ?
Le modelage est inspiré des travaux du psychologue Albert Bandura – cliquez ici pour en savoir plus. L’apprenant imite le sachant (« le modèle ») et cherche à reproduire à sa manière ce qu’il a vu et compris de ce qu’il fallait faire. C’est la base de toute pratique de tutorat ou mentorat dans le domaine des formations techniques. Le tuteur ou mentor fait le geste devant l’apprenant, qui analyse ce qu’il fait et tente ensuite de « l’imiter ».
Avantages
Les avantages du modelage sont nombreux… :
Simplicité : tout tuteur ou mentor est capable de montrer comment il s’y prend pour faire le bon geste (ou presque).
Progressivité : avant de laisser l’apprenant expérimenter par lui-même, le principe de l’amener à voir comment il doit s’y prendre, lui permet de franchir une première étape d’apprentissage en toute sécurité.
Sécurité : un bon modelage amène l’apprenant à refaire le geste devant le “modèle”, qui peut ainsi le corriger. L’apprentissage est donc sécurisé : 1) il observe devant le sachant, 2) il refait devant le sachant, 3) le sachant laisse refaire en autonomie ou a contrario refait ou fait refaire l’apprenant devant lui, en fonction de ce qu’il a constaté à l’étape 2). Bref, c’est “ceinture et bretelles” !
Limites
Les limites du modelage sont intimement liées à ses avantages…
Dépendance au modèle. Si le modèle est un mauvais exemple, les apprenants vont reproduire un modèle erroné. Il y aura apprentissage, mais apprentissage incorrect. Tout repose sur la capacité du tuteur ou mentor.
Reproduire n’est pas savoir-faire. Etre capable de reproduire ne dit rien sur mes capacités à m’adapter à des situations variées et nouvelles. Si je ne fais qu’imiter, est-ce que je saurais refaire quand mon contexte de travail changera ?
Coûteux : le tuteur ou mentor est en permanence au contact de l’apprenant. Cela lui mobilise un temps très important. Les démarches d’accompagnement basées sur le modelage sont très coûteuses en temps tutoral. Elles ne peuvent être pertinentes que pour des métiers où l’apprenant joue au départ « la troisième main » ou si l’on préfère l’arpette.
En conclusion, on réservera le modelage aux apprentissages de gestes professionnels, où observer « le maître » permet de débuter en toute sécurité (tous les métiers issus du compagnonnage s’y prêtent bien). Le modelage pourra être utilisé au début du processus d’apprentissage, mais il faudra très vite l’abandonner au profit du feedback ou de la réflexivité, pour éviter d’enfermer l’apprenant dans la simple reproduction de gestes. Le modelage ne rend pas les apprenants autonomes à terme !
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Le feedback : la meilleure façon pour progresser ?
Le feedback est une approche qui a été largement popularisée dans le domaine du management. Le manager-coach doit savoir faire des feedback, autrement dit donner des retours d’information à son collaborateur sur ce qu’il fait de bien et de moins bien et lui proposer ainsi de trouver des pistes d’action pour progresser. Il existe différents courants dans les approches de feedback. Pour faire simple, elles sont plus ou moins directives.
Les plus directives invitent l’accompagnateur à observer (si cela est possible) ou à prendre des informations indirectement sur ce que fait l’apprenant. Puis à lui faire un retour sur ce qui fonctionne plutôt bien et plutôt moins bien dans ce qu’il fait. Et, enfin, à lui dire ce qu’il faudrait faire pour progresser et à l’engager à mettre en place les actions de progrès préconisées.
Les moins directives, quant à elle, amènent l’accompagnateur d’abord à questionner l’apprenant sur ce qu’il fait de bien et de moins bien, avant de lui donner en retour ce qu’il estime bien fonctionner et moins bien fonctionner. Puis, l’accompagnateur invite l’apprenant à chercher les solutions pour progresser. Et s’il ne les trouve pas, il lui propose « ses » solutions. Enfin, il conclue avec un plan d’action.
Avantages
Le feedback invite l’apprenant à verbaliser et conscientiser ce qu’il fait, ce qui fonctionne bien et moins bien et à rechercher des solutions pour progresser. C’est une première étape vers la “réflexivité”.
Par conséquent, le feedback est une méthode qui donne davantage d’autonomie à l’apprenant, que l’approche du modelage.
Le feedback peut être utilisé pour tous types d’apprentissages. Car l’observation de l’apprenant par le sachant n’est plus indispensable. Il est possible de faire un feedback sur la base des seuls résultats de l’activité de l’apprenant.
Enfin le feedback est plus économique en temps (et en argent) que le tutorat, car le sachant n’a pas à être en permanence au contact de l’apprenant.
Limites
Cette autonomie de l’apprenant est comme nous venons de le voir un avantage du feedback mais également une de ses principales limites.
Lorsque le feedback consiste uniquement pour l’accompagnateur à extrapoler à partir des résultats ou des effets de l’activité de l’apprenant, et non pas sur ce qu’il a concrètement réalisé, il y a de grandes chances pour que le « retour » soit erroné ou incompris. D’où les réactions parfois épidermiques de bénéficiaires d’un feedback.
En conclusion, le feedback est un premier pas dans une approche vers la réflexivité. De sa mise en œuvre (observation ou pas de l’accompagnateur, plus ou moins de directivité dans le retour qui est réalisé par l’accompagnateur, etc.) va dépendre grandement son efficacité. Développer la « culture du feedback » comme cela est tendance dans de nombreuses entreprises, ce n’est pas forcément la solution à tous les maux du management. Encore faut-il que les managers soient conscients des limites de la technique et la mettent en œuvre de façon pertinente (et pour cela, il faut particulièrement bien former les accompagnateurs !). Mais bien utilisée, la technique du feedback est très pertinente pour des personnes qui après un premier apprentissage, ont besoin de progresser rapidement.
La réflexivité : la meilleure façon pour se perfectionner ?
La réflexivité est une approche d’accompagnement déjà ancienne. On peut l’attribuer à Donald Schön qui publie en 1983 « Le praticien réflexif » ou plus tôt encore à John Dewey (milieu des années 1930), mais on peut aussi se référer à d’autres travaux plus récents, notamment issus de la didactique professionnelle en France dès la fin des années 1980. Pour aller plus loin, lire notre article ici.
Avec le développement de l’AFEST, cette approche rencontre un réel succès aujourd’hui. Elle consiste à amener l’apprenant, par un questionnement neutre, à lui faire prendre conscience de ce qu’il va faire, fait et a fait, en vue de l’amener par lui-même à trouver des solutions pour progresser.
Avantages
L’avantage majeur de la réflexivité est sa neutralité. C’est l’apprenant qui trouve ses solutions pour traiter les situations de travail vécues ou qui lui sont proposées. Conséquence, l’apprenant développe très rapidement des capacités d’autonomie. Il n’imite pas un geste ou ne cherche pas à suivre les conseils d’un sachant : il cherche par lui-même à trouver le bon geste. L’apprentissage est donc bien plus profond qu’avec les approches précédentes.
Effet secondaire positif de la réflexivité, c’est aussi que l’apprenant acquiert une méthode et une posture pour apprendre en permanence. Une personne formée par la réflexivité, continue à appliquer le questionnement réflexif tout au long de son parcours professionnel. Sa posture « autonome » est un acquis pour le restant de ses apprentissages.
Autre avantage important : l’utilité pédagogique de l’approche notamment par rapport au feedback.
- La réflexivité peut être utilisée en amont de la mise en situation professionnelle (alors que le feedback ne l’est qu’après une première mise en situation professionnelle). Grâce à un questionnement de type R.I.E.C comme nous l’avons élaboré chez C-Campus, l’accompagnateur peut s’assurer que l’apprenant est capable de faire avant de se lancer dans la mise en situation professionnelle.
- La réflexivité corrige les limites du feedback qui produit le plus souvent, comme nous l’avons vu précédemment, une analyse sur des faits non partagés. Grâce à la méthode du questionnement F.A.S.T que nous proposons à nos accompagnateurs en formation, il est possible d’amener l’apprenant à prendre conscience de ce qu’il a fait et pourquoi il a fait avant de se lancer dans un feedback sur ce qui a fonctionné et moins bien fonctionné. Ce travail « d’explicitation » pour reprendre la terminologie des travaux très inspirants de Pierre Vermersch est un vrai « plus » de l’approche réflexive par rapport au feedback. Elle permet de trouver des pistes de progrès sans culpabiliser l’apprenant.
Limites
L’approche réflexive ne peut pas fonctionner lorsque l’apprentissage à réaliser par l’apprenant est trop éloigné de ce qu’il est capable d’apprendre (pour aller plus loin voir notre article de synthèse sur la ZDP et l’étayage. En clair, l’approche réflexive n’est pas faite pour des débutants mais plutôt pour des personnes en perfectionnement ou capables de se débrouiller après un premier apprentissage (réalisé généralement via des formations synchrones ou du modelage)
Deuxième limite, la réflexivité ré-interroge la posture de l’accompagnateur. Il n’est plus le sachant qui sait, montre, et dit comment il faudrait s’y prendre, mais seulement celui qui amène par un questionnement neutre et bienveillant l’apprenant à trouver les solutions par lui-même.
Enfin troisième limite évidente, l’apprenant doit pouvoir maîtriser lui-même la posture réflexive. Nous ne sommes pas tous égaux face l’apprentissage. Certains ont du mal comme on dit, à se remettre en cause, à porter une analyse objective sur leurs actions et leurs conséquences ou encore à verbaliser ce qu’ils font et à comprendre ce qui se passe dans le déroulé de l’action. Bref, la réflexivité ça s’apprend et l’approche ne devient efficace que lorsque l’apprenant lui-même en maîtrise les tenants et les aboutissants.
En conclusion, la réflexivité est une approche très efficace (probablement dans l’absolue la plus efficace) pour accompagner un apprenant mais elle ne peut être utilisée en toutes circonstances. C’est pourquoi, si elle reste le Graal en matière d’accompagnement, les deux autres approches à savoir le modelage et le feedback restent très pertinentes dans de nombreuses situations. D’autant plus que ces deux approches peuvent intégrer des temps de réflexivité (avant et après la démo dans le cadre du modelage ou avant ou après la supervision du geste dans le cadre du feedback). Savoir accompagner des apprenants aujourd’hui, c’est par conséquent savoir utiliser au mieux en fonction du contexte l’une de ces trois approches et les mixer le plus souvent.