Nous n’y échapperons pas ! Quel que soit le vainqueur du mois de mai, nous aurons une énième réforme de la formation professionnelle en 2018 ou 2019. Loin de prétendre en présenter, et encore moins en proposer, les contours, nous préférons entamer une série d’articles pointant quelques enjeux des débats et émettre quelques souhaits pour que la prochaine réforme ne passe pas à côté de l’essentiel. Nous démarrons cette semaine par la question brulante des OPCA.
Ne pas se tromper de cible…
Il est courant (et pour certains facile) de faire le procès des OPCA. D’aucuns les qualifient de bureaucratiques, d’autres de coûteux, d’autres encore” d’empêcheurs de former en rond”, suite à la la mise en place des décrets FOAD et qualité.
Voir à ce sujet la prise de position étonnante de Bernard Masingue qui souhaiterait un retour en arrière et confiner les OPCA au simple rôle de “banquier” de la formation – cliquez ici.
Ce procès n’est pas toujours totalement injustifié (toute organisation à ses qualités et ses défauts), mais reconnaissons qu’il n’est pas non plus d’une extrême objectivité. Ceux qui s’en prennent aux OPCA tombent trop souvent dans la caricature, les connaissant au demeurant assez mal. Ou, mal intentionnés, cherchent à travers leurs attaques à cibler ceux qui les gouvernent, à savoir les paritaires.
Mais les OPCA ne se résument pas au paritarisme. Ils pourraient d’ailleurs très bien exister sans être gérés paritairement. Ils remplissent trois missions fondamentales qui permet au système de “formation en entreprise”* français d’exister et de rendre les services qui, si on prend le temps d’y regarder de plus près, peuvent nous être enviés par de nombreux pays.
Mission n°1 : la solvabilité de la demande de formation
Imaginons un instant un monde de la formation professionnelle sans OPCA, c’est-à-dire sans financeur. Comment feraient les petites entreprises pour développer leur formation professionnelle. Quand vous êtes une petite entreprise, vous ne pouvez pas lisser votre investissement formation. Pendant 3, 4 ou 5 ans, vous ne faites pas de formation au sens classique du terme (stage) et puis une année, vous allez avoir besoin de former toute une équipe. Et cette année-là, la formation peut représenter jusqu’à 7 à 10% de votre masse salariale. L’arbitrage est alors vite fait : vous reportez la formation. Grâce au versement obligatoire, cela reste possible. Et la loi de 2014, va plus loin grâce au principe de versement “libre”.
Ce versement “libre” est encore mal compris par les entreprises, y compris les grandes. C’est pourtant un outil formidable pour déployer des politiques ambitieuses de formation à moyen et long terme. Les entreprises ont besoin plus que jamais d’accompagnement financier pour transformer leurs pratiques de formation et faire évoluer leur fonction formation. Les OPCA sont là pour les aider. Alors, c’est vrai, les premières offres de service ne sont peut-être pas celles que tout le monde attendait. Mais Rome ne s’est pas fait en un jour. Ne demandons pas aux OPCA de se transformer en 18 mois sans leur donner les moyens. Donnons-leur le temps de co-construire avec leurs adhérents, leurs organismes de formation partenaires et leurs branches professionnelles le service que tout le monde attend.
Pour aller plus loin… Transformation de la fonction formation – cliquez ici.
En attendant, n’oublions pas que les OPCA jouent aussi un rôle essentiel de solvabilité de la demande grâce au système de délégation de paiement ou de subrogation. Les organismes de formation se plaignent souvent des délais de paiement des OPCA et de leurs exigences en matière de documents à fournir, mais travaillent-ils avec des grands entreprises aux procédures comptables de plus en plus opaques ? Sont-ils sécurisés de travailler en direct avec des TPE-PME voire ETI aux garanties de règlement parfois très limitées ? Supprimer les OPCA, comme certains l’appellent de leurs voeux seraient probablement s’exposer à une fragilisation du marché de la formation. Est-ce le bon moment, alors que les besoins en formation explosent du fait de la digitalisation et de la transformation des business models ?
Mission n°2 : contribuer à la structuration des appareils de formation des branches
Dans un marché émietté (62.500 organismes de formation recensés) et faiblement capitalisés, les OPCA ont toujours joué un rôle de structuration du marché. Grâce aux versements volontaires de branche et/ou d’entreprise, cette mission est aujourd’hui considérablement renforcé. Ils peuvent plus que jamais financer les investissements trechno pédagogiques indispensables.
Repenser les systèmes de certification (logique de “bloc de compétences”, protocoles de certifications “agiles”…) rénover l’offre de formation en explorant de nouveaux domaines de formation (digital, développement durable, management agile…), investir dans les plateformes de production et de diffusion pédagogique… accompagner l’évolution des métiers de la formation (e-formateur, formateur terrain, concepteur 2.0…) nécessitent énormément de moyens. Les branches professionnelles ont besoin de financer ces investissements pédagogiques, et non plus seulement de se faire rembourser des prestations de formation, pour faire évoluer en profondeur leurs appareils de formation, c’est-à-dire leurs organismes de formation leaders (privés ou de branche), mais également leurs observatoires prospectifs des métiers et qualification, leurs organismes de certification…
Les résultats ne sont pas encore visibles, mais les OPCA se mettent en ordre de marche. Ils recrutent de nouveaux profils pour staffer des équipes pédagogiques de qualité. Ils travaillent en étroite collaboration avec les CPNE et les observatoires des métiers pour accélérer la redéfinition des parcours de formation (mis en oeuvre de CQP par bloc de compétences, offres de formation portés à l’inventaire…). Il reste encore beaucoup de chemin à faire. Mais encore faut-il leur laisser le temps pour le faire.
Mission n°3 : rendre lisible le marché émietté de la formation
C’est la grande mission des OPCA à partir du 1er janvier prochain : aider les entreprises et les salariés à s’y retrouver sur ce marché excessivement émietté qu’est la formation. Comme l’artisanat l’a fait en son temps avec ses normes qualité, l’application du décret qualité à travers l’enregistrement datadock et le référencement OPCA va permettre d’améliorer considérablement la lisibilté de l’offre de formation. Et ceci est devenu d’autant plus crucial, qu’avec le CPF – et demain le CPA – ce n’est plus l’entreprise qui se retrouve face à ce marché émietté, mais le salarié lui-même.
Les détracteurs des OPCA pourront une fois de plus dénoncer le risque bureaucratique de la démarche. Ils pourront également s’alarmer du fait qu’on se trompe peut-être de cible (fallait-il référencer les organismes ou certifier les formateurs ?), mais reconnaissons qu’il s’agit (enfin) d’une démarche ambitieuse de clarification du marché de la formation. Les OPCA en devenant un tiers de confiance vont jouer un rôle déterminant pour fluidifier le marché de la formation.
D’autres que les OPCA auraient-il pu exercer cette mission ? Les certificateurs ? Pourquoi pas, mais quand on voit ce qui s’est passé avec les listes CNEFOP et le nombre de nouvelles certifications qui vient de fleurir, on peut penser que les OPCA ne sont peut-être pas un si mauvais choix. Les branches professionnelles via leurs CPNE ? Mais on aurait eu autant de référencement que de branches ! Les Régions ? Mais sont-elles aptes à porter un jugement sur la qualité de formations destinées aux salariés alors qu’elles n’interviennent qu’à la marge dans ce domaine. La DGEFP ou une commission nationale ad hoc ? On aurait crié à l’Etatisme et cela aurait eu un coût inacceptable (il n’est qu’à voir toutes les difficultés qu’a eu la CNCP pour accroître ses effectifs face à la surcharge d’instruction des dossiers de certifications à l’inventaire et au répertoire).
Dans ce domaine aussi, il faut donner du temps aux OPCA : deux ans, peut-être trois ans pour monter en régime et apporter le conseil nécessaire aux organismes de formation. Ils semblent s’engager à le faire. Ils nous assurent qu’ils seront dans une démarche d’accompagnement plutôt que de contrôle et d’exclusion. Faisons le pari et jugeons sur acte. En attendant, laissons-les s’organiser plutôt que couper leur élan en réduisant une nouvelle fois leur nombre ou en leur supprimant la collecte…