Leïla Roze des Ordons travaille à la Direction de l’innovation sociale et de l’ingénierie de projets de L’AFDAS. Elle pilote avec son équipe des projets innovants, notamment ceux portant sur les AFEST. Au terme de sa certification de Référente AFEST C-Campus elle partage aujourd’hui avec Henri Occre, Directeur Associé C-Campus, son retour d’expériences AFEST depuis 2017 ainsi que sa vision sur ce que pourrait être une approche « frugale » de la formation en entreprise grâce à cette modalité.
Henri Occre : Leïla, depuis 2017 nous avons eu le plaisir de collaborer sur trois grands projets de déploiements d’ingénierie AFEST :
– AFEST portées par des référents internes dans différents secteurs et entreprises
– AFEST accompagnées par des référents/consultants externes au bénéfice des PME
– AFEST dans le cadre d’un parcours multimodal CQP de la branche audiovisuelle
Quels traits saillants retenons-nous des grands projets AFEST menés ?
En AFEST, il faut rester dans une juste mesure…
Leïla Roze des Ordons : J’en retiens la nécessité de rester dans une juste mesure. L’AFEST est une modalité très intéressante et à fort potentiel d’innovation pédagogique. Cependant elle est exigeante car elle touche au travail réel et nécessite donc du temps en ingénierie et préparation de ses acteurs. A une époque où l’immédiateté et le court-termisme sont les temporalités souvent préférées en formation, je dirais que l’AFEST nous oblige à respecter à nouveau un temps plus long : celui de la maturation nécessaire pour que les compétences soient durables.
Henri Occre : Ce qui est choquant dans l’obsession du résultat à court-terme, notamment dans le champ du développement des compétences, ce n’est pas tant qu’on veuille agir vite par des AFEST ciblées et produire des résultats observables dans le travail des gens, c’est même tout à fait louable, mais c’est surtout qu’on en oublie que pour développer de manière pérenne les compétences des individus, il faut un temps incompressible, la maturation dont vous parlez.
LRDO : Il serait également intéressant de veiller à ne pas limiter l’AFEST à un dispositif de financement. Il s’agit plutôt d’une modalité pédagogique, qui favorise la transversalité, propice au développement des compétences.
L’AFEST développe aussi des « méta-compétences » chez les apprenants !
HO : Modalité qui développe d’ailleurs chez l’apprenant, quel que soit son statut socio-économique, des « méta-compétences » telles que la pratique réflexive, l’auto-observation, l’auto-évaluation, la mnémotechnie. Autant de capacités qui lui servent dans toutes les activités professionnelles, tout au long de sa vie. Je fais à cet égard une parenthèse : récemment deux apprenants bénéficiaires d’AFEST témoignaient qu’ils utilisaient désormais aussi l’analyse réflexive dans leur vie extra-professionnelle ou avec leurs enfants.
LRDO : Un autre aspect remarquable observé dans les divers projets menés, est qu’au fond, avec l’approche personnalisée de l’AFEST on peut concilier la vision stratégique de l’entreprise, qui se traduit par le Plan de Développement des Compétences et le besoin singulier des individus. Cela, s’illustre par exemple, par un besoin d’insertion à court terme pour des alternants ou pour des salariés en poste, ou encore par un accompagnement au projet professionnel, voire l’obtention in fine d’un diplôme en combinant AFEST + VAE
Un juste milieu à trouver entre les AFEST internes et l’intervention de consultants-formateurs externes ?
HO : En effet, potentiellement l’ingénierie AFEST pourrait inclure la possibilité de reconnaissance ultérieure, par capitalisation de blocs de compétences acquises. Nous constatons aussi que les projets AFEST menés, remettent en évidence la nécessaire collaboration entre les consultants et les formateurs externes et les référents AFEST internes aux entreprises. Il faut trouver un juste milieu entre le tout externe, qui empêche l’organisation de devenir « apprenante » et autonome en AFEST et le tout « internalisé » car les référents AFEST internes des entreprises ne possèdent pas tous l’expertise des ingénieurs pédagogiques et des formateurs professionnels.
LRDO : Ce juste milieu peut par exemple prendre la forme suivante, que nous avons pu tester : le consultant met à disposition de l’entreprise une méthodologie. Il adopte une posture de chef de projet et de pilote AFEST pour aider ses interlocuteurs internes « opérationnels à réaliser l’analyse du travail et à co construire les outils AFEST telles que les grilles de positionnement etc.
Pour conclure ce retour d’expériences, je dirais qu’il semble indispensable que l’Afest dépasse la seule opportunité de réponse à l’obligation sociale de former ses salariés (ou d’échapper à la pénalité). Pour faire référence au modèle d’ évaluation de la formation Kirkpatrick, il faut investiguer le niveau 4. C’est-à-dire s’intéresser aux résultats attendus par les commanditaires, à la problématique à traiter et aux indicateurs avancés pour mesurer les effets de la formation et en quoi les AFEST peuvent apporter des réponses efficientes.
HO : Absolument les AFEST, ce ne sont pas que des articles du Code du Travail ou des lignes de financement publics et OPCO. Ce sont des vecteurs d’innovation et d’efficience en formation et surtout l’occasion de redonner du sens aux acteurs du développement des compétences : apprenants, managers, accompagnateurs, formateurs externes. Sans la contribution des référents AFEST certifiés, il se pourrait que l’avenir de l’AFEST soit plus hasardeux.
L’AFEST comme approche écologique de la formation professionnelle !
LRDO : Chez C-Campus l’AFEST est considérée comme une approche « écologique » de la formation. Qu’est-ce que ça signifie concrètement, Henri ?
HO : Je vais illustrer ce point de vue en prenant une métaphore agricole.
On pourrait dire que la formation descendante est une sorte d’agriculture intensive où l’on apporte beaucoup de contenus et d’éléments externes, parfois trop, à l’apprenant. Tout comme en grande culture, on apporte parfois trop d’intrants à la plante.
A l’opposé la formation dite « sur le tas » consiste à favoriser la « friche » : l’apprenant, soi-disant autonome, est laissé à lui-même et on présume qu’il va se développer naturellement.
L’AFEST pratiquée dans un cadre multi-modal, pour filer la métaphore, correspondrait à une sorte d’agriculture raisonnée. On forme l’apprenant juste assez, juste à temps et au plus près du besoin.
LRDO : Oui, lorsqu’on pratique l’AFEST en combinaison avec d’autres modalités, on cherche le dosage juste pour l’apprenant, d’où l’aspect « écologique » de l’Afest.
HO : En effet et chez C-Campus on aborde cette dimension écologique de l’Afest sous trois angles :
- Primo l’AFEST est une modalité écologique de formation car il y a économie de ressources : on forme sans moyens supplémentaires, au plus près des besoins singuliers de chacun.
- Secundo l’AFEST est aussi écologique car elle suppose une économie des « répétitions » nécessaires pour maîtriser l’activité / la compétence. L’ancrage est ainsi plus rapide chez l’apprenant, tant dans la compétence « juste » que dans les variantes qu’il a « inventées » en phase réflexive.
- Tertio et c’est pour nous le plus important : l’AFEST s’inscrit souvent dans une démarche de construction d’un « écosystème apprenant ». Le job du référent AFEST est de rendre « apprenants » l’organisation, l’environnement de travail, d’animer le collectif managers + apprenants + accompagnateurs ! L’AFEST fonctionne particulièrement bien lorsqu’elle est holistique (elle s’intéresse à « l’ensemble ») et systémique (elle concerne tout le collectif de travail). C’est la raison pour laquelle ceux qui considèrent que l’AFEST n’intéresse que le binôme apprenant + formateur, passent à côté de l’essentiel, selon nous.
LRDO : J’ajouterai un 4ème angle à la dimension écologique de l’AFEST : grâce aux analyses réflexives, on respecte aussi le temps de maturation de la compétence chez l’apprenant. Au niveau global, une organisation utilisant cette modalité s’inscrit dans une temporalité un peu plus longue, donc a priori vise un développement plus durable et pérenne des compétences de ses acteurs.
Vers des AFEST « frugales » ?
HO : Vous avez même parlé d’AFEST « frugale » dans le cadre de votre certification de référente AFEST : pourriez-vous décrire le rapport que vous voyez entre Afest et frugalité ?
LRDO : Frugale car veillant à économiser l’énergie pour produire une Afest. Tendre à simplifier, rendre opérationnelles et accessibles à la fois l’approche et l’ingénierie AFEST. En d’autres termes, éviter les usines à gaz : elles polluent !
HO : Oui : faisons en effet preuve de bon sens en partant de ce que fait déjà l’organisation de manière empirique. Améliorons ses pratiques formatives grâce à l’AFEST pour développer les compétences de ses individus sur le terrain. Soyons en tant que référents, les jardiniers et paysagistes de l’AFEST !
L’AFEST fait grandir toutes ses parties prenantes, pas uniquement les apprenants…
LRDO : Il nous reste selon moi un élément très important à valoriser et souvent peu visible immédiatement. Il s’agit de la manière dont l’AFEST fait grandir toutes les parties prenantes, à savoir, toutes celles/ceux qui la pensent (les référents) – qui la font (les accompagnateurs et les managers) et qui en sont les bénéficiaires (les apprenants). Montrer son effet domino qui agit profondément sur les postures de chacun, dans l’apprentissage.
HO : C’est vrai, l’AFEST est systémique, elle impacte positivement tous ses acteurs ! Nous avons d’ailleurs relevé qu’elle générait aussi une fierté collective du travail bien fait – qu’elle permettait au collectif de travail de sortir de la dimension contraignante de la formation, du discours parfois exagéré sur l’effort conséquent à fournir pour apprendre, sans pour autant tomber dans l’excès de l’apprentissage uniquement sous l’angle ludique.
L’AFEST ne doit pas être mécaniste mais humaniste !
LRDO : En tant que référente certifiée AFEST, lors de l’oral avec mon jury j’ai eu à pratiquer ma propre auto réflexivité sur la conduite de plusieurs projets AFEST. J’en retiens plus qu’une mécanique, des principes généraux que j’illustre par une série de verbes clés pour qualifier cette approche du développement des compétences : se situer en termes de compétences professionnelles – reconnaître les compétences et complémentarités des autres – cultiver ses forces / ne pas cacher ses faiblesses – lâcher-prise – émanciper – faire preuve de bienveillance – créer du lien social – renforcer le collectif – individualiser sans excès – développer la capacité auto réflexive – créer des réseaux d’apprentissages
HO : Leïla, je souscris à 100% : l’AFEST n’est pas mécaniste, elle est humaniste. Merci !