Francis Dumasdelage est administrateur national de la Fédération de la Formation Professionnelle. Il préside également la FFP en Nouvelle Aquitaine. Fondateur du Groupe de formation AFC. Il se passionne pour l’AFEST depuis 2017 et le début des expérimentations car il pense que travail, formation, emploi et compétences sont intimement mêlés et complémentaires.
Dès 2018 vous avez décidé de professionnaliser vos équipes pédagogiques à l’AFEST, pourquoi ?
Par contrepied ! Je lisais et j’entendais à l’époque beaucoup de craintes de mes pairs et confrères au sujet des AFEST. A la fois par conviction professionnelle et du fait de mes mandats à la FFP, j’ai voulu envoyer un signal fort : cette modalité pédagogique n’est pas concurrente des organismes de formation. L’accompagnement d’apprenants en AFEST est aussi notre métier de formateurs.
Mais ça n’est pas une posture un peu bravache ?
Pas du tout ! J’ai plusieurs convictions :
- Primo nous sommes des entreprises de formation aujourd’hui et nous devons devenir des entreprises spécialistes du développement des compétences, partenaires de nos clients, demain.
Les AFEST contribuent fortement au développement des compétences. Donc nous devons y aller en tant qu’OF - Secundo, en tant qu’entreprises nous-mêmes, nous devons innover, en particulier en pédagogie. Or l’AFEST est une modalité innovante qui nécessite que nous professionnalisions aussi nos responsables pédagogiques et nos formateurs.
- Tertio, au delà de l’AFEST, nous devons investir toutes les modalités : présentiel, digital, hybride, etc. pour satisfaire nos clients et publics, qui sont de plus en plus exigeants en terme de résultats, et c’est normal.
Enfin pour moi l’AFEST réconcilie au sein de l’entreprise, travail et formation, au service des compétences.
Vous parlez de réconciliation, qu’entendez-vous exactement par là ?
L’AFEST s’inscrit dans un schéma de rupture : pendant près de 48 ans, dans les textes on a opposé dans notre pays, la formation et le travail : comme si la formation n’était pas aussi du travail et vice-versa comme si le travail ne permettait pas d’acquérir des compétences.
C’est assez singulier et ça n’existait pas autant chez nos voisins européens. Dans les faits, en entreprises on ne faisait pas cette distinction : les entreprises rendaient déjà leurs salariés compétents au poste, notamment par le travail confié. Aujourd’hui avec la reconnaissance des AFEST, c’est bien plus clair : le travail et l’entreprise peuvent officiellement devenir le matériau du développement des compétences.
Mais alors, les entreprises peuvent se passer d’organismes de formation et réaliser seules des AFEST ?
Elles le peuvent mais y ont elles un intérêt ? C’est à nous, les organismes de formation, de leur prouver que nous pouvons les accompagner dans la conception et la mise en œuvre d’AFEST efficientes. Nous devons être les acteurs incontournables des AFEST.
Nous avons des atouts pour cela : par exemple nous avons dans nos OF des professionnels à la fois des métiers et de la transmission, de la pédagogie.
Nous pouvons jouer les tiers de confiance pour les salariés des entreprises, notamment dans la co-construction, la personnalisation des AFEST mais aussi dans l’accompagnement des phases réflexives des salariés apprenants.
Nous pouvons enfin accompagner les employeurs dans l’analyse du travail, qui est on le sait, le substrat indispensable de toute AFEST. Notre rôle est d’aider l’entreprise à produire des parcours AFEST efficaces et à forte valeur ajoutée, combinés pourquoi pas, avec d’autres modalités comme le digital Learning et le présentiel, que nous continuerons à adresser.
D’accord mais il y a une marche à franchir pour les consultants – formateurs !
Je dirai plutôt un seuil : celui de la porte de l’entreprise.
Nos formateurs vont se rapprocher avec les AFEST des situations de travail réelles, s’y inviter.
Jusqu’à maintenant, ce n’était pas toujours le cas même si notre groupe AFC œuvre dans l’alternance depuis plus de 20 ans. En AFEST, ça devient systématique et c’est très bien car précisément il est frustrant pour un formateur de ne pas aller jusqu’au bout de sa démarche, c’est à dire après avoir formé des apprenants en salle par exemple, de ne pas les accompagner en situation de travail pour aller jusqu’au transfert des acquis.
Le métier de formateur va évoluer dans le bon sens et c’est tant mieux : à la fois vers encore plus d’accompagnement et de personnalisation mais aussi vers une position d’architecte de dispositifs mixant les pédagogies au service du résultat : la compétence et pas uniquement des moyens.
Comment avez-vous accompagné vos équipes pédagogiques dans ce double mouvement ?
Nous leur avons proposé, sur la base du volontariat, de les former afin de devenir référent certifié AFEST. Nous avions repéré le parcours certifiant de C-Campus et comme nous partagions la même philosophie en matière d’AFEST, nous avons organisé avec C-Campus un parcours certifiant pour 7 formateurs du groupe AFC ainsi qu’un de nos responsables pédagogiques.
Sur la philosophie commune avec C-Campus, nous étions déjà fortement en phase sur un principe qu’on retrouve en AFEST : en tant que formateurs, on ne donne pas à faire, on n’apprend pas seulement à faire. Nous devons aussi apprendre à faire faire ! Ca signifie que nous devons également accompagner les tuteurs, accompagnateurs et managers des apprenants, à devenir des relais pédagogiques.
Comment vous positionnez-vous dorénavant en tant qu’organisme de formation intégrant l’AFEST ?
Nous, les organismes de formation qui allons vers l’AFEST, nous devons d’abord, je pense, réinventer notre relation avec nos clients. Je pense que le triple message que nous pouvons leur faire passer est le suivant :
1. Contribuons ensemble avec l’AFEST à rendre les organisations apprenantes.
2. Bâtissons ensemble un éco-système formatif dans votre entreprise, favorable au développement des compétences des salariés et pas seulement pour les bas niveaux de qualification.
3. Enfin sortons de la seule logique « achat- vente de formations ».
Au sein d’AFC, nous souhaitons apporter à nos clients des nouveaux services :
- architecte du développement de compétences en situation réelle
- analyste des situations de travail formatives
- observateur bienveillant et objectif de la montée en compétences des salariés apprenants
- accoucheur de la réflexivité
- partenaire des accompagnateurs, tuteurs et managers des apprenants
Ce ne sont pas que des concepts et des mots : nos formateurs via leur propre parcours certifiant de référent AFEST apprennent à expérimenter et mettre en œuvre ces nouveaux services. Ils se confrontent aux situations réelles, travaillent avec les managers, briefent et outillent pédagogiquement les accompagnateurs – tuteur internes.
Ils aident à créer des rituels d’apprentissages AFEST, à instaurer une culture formation dans l’équipe, etc.
Ces services sont-ils monnayables ?
Je pense que nous devons là aussi facturer différemment nos services AFEST : nous vendrons encore des prestations de formation, des contenus, du face à face pédagogique etc. Nous allons probablement vendre en plus des « services de développement de compétences au sein des organisations ».
Que gagnent vos formateurs : ce sont de nouvelles responsabilités ?
Individuellement ils gagnent de nouvelles compétences et une certification reconnue. Collectivement leur regard sur les apprenants change : les apprenants se sentent valorisés par la nouvelle posture du formateur et vice versa, le formateur voit la traduction concrète, les résultats de son accompagnement de l’apprenant : dans la capacité de ce dernier par exemple, à trouver ses solutions, à être plus opérationnel, mieux organisé, plus efficient, moins fatigué, etc. dans ses activités et son travail.
Que constatez-vous d’autres chez vos apprenants en AFEST ?
J’en ai questionné plusieurs directement : d’abord ils apprécient de se situer concrètement en terme de niveau de compétences grâce aux AFEST.
Ensuite ils sont fiers de prouver qu’ils sont capables de faire par eux-mêmes.
La relation, dans un cadre de bienveillance, avec leur formateur, leur accompagnateur et les managers en entreprises évolue : ils mettent leurs questions sur la table, ne se sentent pas jugés mais accompagnés. Ils voient aussi qu’on s’intéresse à eux, qu’on personnalise leur parcours via la démarche de positionnement amont. Ils nous disent tous qu’ils se sentent plus responsables, plus concernés par la formation.
Donc l’AFEST est l’avenir de la formation professionnelle en entreprise ?
La question est compliquée : L’AFEST porte en elle tous les germes de réussite pour ses acteurs en entreprise, notamment dans les PME et TPE et les entreprises de réseaux. Mais elle soulève d’autres questions sous-jacentes, par exemple sur l’organisation du travail propice aux AFEST, la mesure de l’efficience de la formation.
Nous allons d’ailleurs en septembre accompagner sous l’égide d’OPCOMMERCE et en partenariat avec C-Campus, une dizaine d’entreprises PME qui souhaitent déployer les AFEST.
En conclusion, en tant qu’organisme de formation, je dirais que l’AFEST est une solution mais pas la solution pédagogique absolue. Nous devons aussi faire évoluer la manière d’animer nos présentiels, introduire des séquences digitales accompagnées dans nos parcours longs, etc. Bref réinvestir en tant qu’entreprise spécialiste du développement des compétences.