Depuis quelques années, une expression fait florès dans le petit monde de la pédagogie : « L’engagement en formation ». Tendance dans le milieu du marketing, et plus particulièrement dans le digital marketing, elle est devenue prisée de tous les décideurs et praticiens en formation des adultes. D’autant plus qu’avec l’évolution du monde du travail, on dénoterait une perte de sens et donc d’engagement au travail (et par conséquent en formation). Ce qui reste à prouver : aussi bien, la perte d’engagement au travail comme en formation.
Mais ce n’est pas l’objet de cet article d’en discuter. Plus modestement, nous aimerions montrer que la question de l’engagement en formation est actuellement très mal posée. Et qu’au lieu de tout faire pour engager les apprenants, on ferait mieux de s’engager auprès d’eux, pour qu’ils puissent mieux apprendre…
« Engagez-les, Engagez-les ! »
Les soi-disant experts qui se sont emparés de la question de l’engagement en formation ont procédé à un discret, mais très notable, glissement sémantique. Ce glissement est loin d’être anodin et révèle une vision totalement erronée de la formation. Par conséquent, les solutions qu’ils sont à même de proposer, au mieux n’ont guère d’effets, au pire peuvent renforcer à terme le problème.
S’engager, c’est se lier…
La définition du Larousse nous dit : « l’engagement, c’est l’acte par lequel on s’engage à accomplir quelque chose ; promesse, convention ou contrat par lesquels on se lie : contracter un engagement, faire honneur à ses engagements ».
On voit très clairement à travers cette définition, que l’engagement est basé sur le volontariat. Cela vient de la personne elle-même. On parlait de s’engager dans l’armée. C’était un acte délibéré qui nous liait à l’armée. On s’engageait pour 5, 10 ou 15 ans. A contrario, celui qui faisait son service militaire était désigné par le terme « Appelé ». « Appelé » vs « Engagé » définissaient deux types de relation totalement différentes. Dit simplement, l’appelé venait parce qu’on lui avait dit de venir, (il « répondait à l’appel » (et s’il ne répondait pas, il pouvait être sanctionné jusqu’au péril de sa vie). Tandis que « l’engagé » était librement consentant.
Or, aujourd’hui les « experts » en engagement semblent poser davantage la question autour des méthodes et techniques qui peuvent « engager », plutôt que les contextes qui amènent l’apprenant « à s’engager ».
On n’engage personne, c’est la personne qui s’engage !
Malheureusement pour ces pseudo experts de l’engagement, c’est une erreur de débutant de croire que l’on peut engager des gens, et encore plus des apprenants en formation.
Même les dictateurs n’ont pu transformer les attitudes et opinions des populations durablement pour qu’elles pensent et agissent comme ils le souhaitaient (heureusement, ni « le Meilleur des mondes », ni « 1984 » ne sont encore devenues réalité et restent simplement au stade de dystopies !). Alors soyons sérieux, quand il s’agit d’apprendre et donc de s’engager, c’est-à-dire de se motiver, de produire des efforts, de travailler pour raisonner, mémoriser, tester, expérimenter au travail, le pauvre formateur ou la pauvre formatrice est bien démunie pour « engager » ses apprenants. Au mieux, et c’est déjà pas mal, elle peut, comme nous le verrons ci-après, les écouter et créer quelques conditions favorables, pour qu’ils s’impliquent davantage dans leur formation.
En fait ceux qui nous proposent « d’engager les apprenants » ont une vision erronée, non seulement des processus motivationnels, mais également et surtout de la formation. Ils pensent, croient, et parfois s’auto persuadent, car cela les rassure, qu’ils peuvent former des gens. Mais comme le dit en substance si bien le Professeur Philippe Carré, c’est une erreur pédagogique fondamentale de croire que l’on peut former quelqu’un, alors que seul l’apprenant est capable de se former. (voir à ce sujet son dernier livre sur l’apprenance que nous avions commenté – cliquez ici et/ou un article que nous avions fait autour d’une excellente vidéo qu’il avait publiée en 2017 – cliquez ici.)
Engagement : la solution, c’est le problème
Partant de cette vision erronée de la formation et de l’engagement, les solutions proposées pour tenter vainement d’engager les apprenants deviennent elles-mêmes des problèmes. Prenons trois exemples sans épuiser le sujet.
- Le Fast learning. Pour engager, il faut faire court. Les tenants du Fast learning nous rabâchent pour preuve, le temps moyens des vidéo sur YouTube, la durée de lecture d’un article de presse, le temps d’attention sur Tik-Tok ou Instagram… Mais cela n’a rien à voir avec l’apprentissage. Apprendre, ce n’est pas se divertir ! A pousser le Fast Learning à l’excès, on ne propose plus que des savoirs en miette, les apprenants ne comprennent plus ce qu’ils doivent apprendre et pourquoi ils doivent l’apprendre.
- La ludo-pédagogie. Pour s’engager, il faut jouer. L’Homo Sapiens, serait devenu Homo Ludens avec la révolution du Smartphone. Sa capacité de concentration aurait tellement faibli, que si on ne le fait pas jouer, il ne peut apprendre. Ce raisonnement n’est pas totalement à jeter et amener l’apprenant à être actif en formation, c’est loin d’être dénué d’intérêt. Mais là aussi méfions-nous de l’excès. Le jeu pour le jeu est contre-productif. Combien de ludo-pédagogies amènent les apprenants à se prendre tellement au jeu qu’ils en oublient l’objectif même du jeu ? Concentré sur le fait de gagner le jeu, l’acquisition des connaissances passe au second rang. Sortant de telles formations, leur constat est souvent rude : « on a bien joué, c’était très convivial, mais je ne sais pas ce que l’on a appris ! »
- Le micro-doing. Pour engager, il faut pister et conditionner. Le micro-doing semble être la solution ultime proposée pour « engager ». Puisque les apprenants ont parfois du mal à comprendre, oublions de les faire réfléchir et passons directement à la pratique en leur proposant tous les matins ou de façon ad hoc de mettre en œuvre des comportements ciblés. Les applis se multiplient en ce moment dans ce domaine, suite à toute la littérature en développement personnel qui tourne autour des routines et des habitudes efficaces. Leurs créateurs faisant fi de plus de 50 ans de pédagogie humaniste, nous proposent de revisiter le bon vieux béhaviorisme, à l’aune de la digitalisation. Mais les collaborateurs des entreprises ne sont pas dupes. Ils se savent déjà suffisamment “pistés” pour ne pas accepter de suivre les directives d’une application froide et totalement déshumanisée. Ce type d’appli renforce une image négative de la formation qui peut conduire jusqu’au rejet non seulement du dispositif de formation ainsi proposé, mais également de l’acte de se former lui-même.
Et si au lieu d’engager, le formateur écoutait et s’engageait !
Vous l’avez compris, nous ne croyons pas trop dans notre capacité en tant que pédagogues, à engager des apprenants en formation. Mais alors que faut-il faire ? Sans avoir de recette miracle, nous aimerions renverser le paradigme : plutôt que d’engager, ne pourrait-on pas soi-même en tant que formateur ou formatrice (ou mieux facilitateur ou facilitatrice) se mettre au service de l’apprenant et s’engager à l’aider pour mieux vivre son expérience d’apprentissage ?
Partant de ce renversement de perspective, trois pistes à investiguer nous viennent à l’esprit immédiatement.
S’engager à écouter les besoins de l’apprenant et de l’équipe apprenante
Identifier ses besoins en formation, définir ses objectifs d’apprentissage, prendre conscience de ce que l’on sait et ne sait pas encore faire et de ce qu’il nous faudrait apprendre pour y parvenir n’est jamais évident. L’apprenant se connaît (mais toujours que partiellement), mais il ne connait pas la discipline ou le métier (c’est le domaine du formateur).
L’aider à faire le point sur ses véritables besoins via des outils de positionnement, d’information, de feedback en cours d’apprentissage est une piste à activer pour lui donner quelques chances de s’engager. Arrêtons la prescription descendante ! Laissons chacun se bâtir son parcours d’apprentissage, comme on peut le faire par exemple en AFEST.
Et ce qui est vrai pour l’apprenant, l’est encore plus pour une équipe de travail. Si on veut que les collaborateurs mettent en œuvre ce qu’ils ont appris, donnons-leur les moyens collectivement d’identifier leurs besoins en compétences collectives et de partager leurs savoirs et savoir-faire. Ce n’est pas une hérésie de penser que les collaborateurs d’une équipe sont capables collectivement de s’auto évaluer, pour bâtir leurs propres parcours de formation. La question de l’engagement ne se pose plus alors, puisque le collectif lui-même génère un sentiment de compétence collective et par conséquent de l’auto-engagement. Pour s’en convaincre, il suffit de voir comment des « petits poucets » font des parcours extraordinaires en Coupe de France de football ou certaines “petites nations” font des parcours extraordinaires en Coupe du monde.
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S’engager à créer les conditions pour que chacun apprenne dans un environnement favorable
Plus les décennies passent, plus les directions de formation et organismes de formation semblent rogner sur les conditions de mise en œuvre des formations, à l’instar de ce qui se passe dans certaines Universités. La raison est toujours la même : la productivité et l’efficacité à court terme.
- Offrir des « milieux » d’apprentissage agréables. Les espaces de co-learning sont l’arbre qui cachent la forêt. Derrière quelques belles vitrines d’Université internes ou de Learning Lab d’organismes de formation et d’école, combien de formations dans des salles étroites, en sous-sol, bruyantes, mal aérées… Exit le résidentiel, exit les pauses petit-déjeuners dignes de ce nom… « Cela coûte cher, Monsieur ! » Et d’ailleurs, exit le présentiel, vive la visio. Et même la visio sans caméra. « C’est plus écologique, Monsieur ! ».
- Donner le droit à l’erreur. Le diktat de la Qualité Totale a fait des dégâts. Bien faire dès la première fois a eu tendance à paralyser l’expérimentation. Libérons l’apprentissage en autorisant les collaborateurs à échouer. Sortons d’une culture de « l’état d’esprit figé » pour entrer dans celle d’un “état d’esprit en développement » comme le préconise Caroll Dweck.
- Donner du temps. On l’a déjà évoqué plus haut avec le Fast Learning, nous n’y reviendrons pas. Mais on pourrait s’inspirer des entreprises qui donnent du temps individuel et surtout collectif pour se former chaque semaine.
- Offrir des formations de qualité. Les « bullshits jobs » sont un phénomène bien connu, mais malheureusement les « Bullshits courses » ne manquent pas. Ils sont mêmes légion : formations obligatoires qui se généralisent à tous les domaines, cours digitaux de plus en plus low cost et sans accompagnement, formations tellement ciblées qu’elles en deviennent incompréhensibles : « vous pouvez les former en un webinaire d’une heure trente ? Ce sera plus engageant, car ils sont débordés ! ». Et si on prenait le temps de se poser et de faire moins mais mieux de formation !
- Offrir des missions apprenantes. Apprendre, c’est bien mais mettre en œuvre, c’est mieux. De ce point de vue, on est en phase avec les thuriféraires du micro-doing. Mais notre façon de l’aborder est diamétralement opposée. Pour que l’apprenant se forme de façon durable, il doit être convaincu que de retours de formation, il ne se heurtera pas à des murs. Son environnement lui offrira un cocon propice à l’expérimentation, la mise en œuvre et le partage des nouvelles connaissances. Comme cela est le cas aujourd’hui en AFEST, il revient au pédagogue d’aménager le travail pour le rendre apprenant.
S’engager à reconnaître les efforts d’apprentissages et pas seulement les résultats
Le débat est vieux comme l’histoire de la législation sur la formation. Faut-il et même doit-on reconnaître l’effort d’apprentissage et par conséquent les certifications obtenues. Les syndicats ont toujours répondu par l’affirmative, les fédérations patronales ont toujours opposé une fin de non-recevoir.
Certes, la rémunération, la promotion, l’élargissement des tâches (par exemple en devenant, suite à une formation, référent dans un domaine d’expertise pour son équipe) ne sont que des facteurs de motivation extrinsèques, mais il n’en reste pas moins vrai que les collaborateurs des entreprises ont besoin de trouver un intérêt (parfois “sonnant et trébuchant”) à leur engagement en formation.
Quarante ans “d’approche compétences” nous ont fait oublier que dans le monde d’avant, la qualification était liée à la rémunération et que la qualification elle-même reposait sur les formations et certifications obtenues. Aujourd’hui, on rémunère l’emploi pas la qualification. C’est plus agile, flexible et… surtout plus économique. Mais le salarié qui s’engage dans une formation longue et certifiante y retrouve-t-il son compte ? Cette question paraîtra aux pseudos experts de l’engagement en formation totalement décalé. Puisque “des vidéos de moins 5’, un bon jeu et quelques notifications pour rappeler ce que l’apprenant a à faire, suffiraient apparemment pour l’engager” !