La réforme patine. Les Régions menacent de se retirer de l’apprentissage et la négociation a été stoppée net, il y a déjà 15 jours. Le Gouvernement a programmé toute une série de réunions bilatérales pour renouer les fils du dialogue. Cela sera-t-il suffisant ? On peut en douter. Depuis le début, cette réforme pâtie d’une erreur de méthode fondamentale.
Le gouvernement a annoncé dès juin dernier, haut et fort, une réforme qui allait « transformer » le système de formation professionnelle et l’apprentissage. Pas une réformette de plus, une véritable transformation en profondeur. Le PIC (Programme d’Investissement dans les Compétences), fin septembre, et le document d’orientation, courant novembre, laissaient augurer effectivement un chamboulement potentiel important. Mais le Gouvernement, à l’inverse de ce qu’il a fait pour les « ordonnances travail », a laissé aux acteurs historiques la bride sur le coup. Et c’est là que le bât blesse. Erreur de méthode fondamentale. Comment peut-on imaginer que ceux qui ont bâti, décennie après décennie, le système existant soient capables, d’un coup de baguette magique, de tout défaire pour tout reconstruire ?
Les experts en management nous le répètent à longueur de livre : il y a deux types de changement. Le « 1 » et le « 2 ». Le changement de type 1 est un changement dans le système. C’est une simple amélioration de ce qui existe déjà. Le changement de type 2 est un changement du système lui-même. Les principes qui sont à l’origine du système sont alors remis en cause. C’est ce que l’on qualifie dans le discours managérial d’un “changement de paradigme” ou si l’on préfère d’un “changement de logiciel”.
Le gouvernement souhaitait tout casser avec cette réforme. On allait voir ce que l’on allait voir. L’Apprentissage serait transféré aux branches. Les versements volontaires seraient « Ursaffisés » et la prescription désintermédiée. Tous les salariés et demandeurs d’emploi pourraient bénéficier d’une formation en seulement quelques clics sur « moncompteformation.gouv.fr ». Les missions des OPCA et FONGECIF seraient profondément transformées. Certains, catastrophistes, parlaient déjà de leur disparition pure et simple. On les retrouverait au cimetière des organismes disparus entre le FUP et les ASFO.
Oui, mais pour cela, il fallait non seulement voir grand mais aller vite. Il fallait un pilote dans l’avion et un équipage solidaire et dévoué. Or, le gouvernement a invité les partenaires sociaux à négocier et les régions à participer à une concertation quadripartite. Il a choisi exactement la même méthode que celle utilisée pour la réforme de 2014. On connaît le résultat. Beaucoup de changements, mais les fondations n’ont pas bronché.
Les acteurs historiques pourront sans peine procéder à des changements de type 1 : élargir la définition de l’action de formation, supprimer les listes CPF, revoir à la marge l’allocation des fonds de la formation, renforcer les exigences de labellisation pour les organismes de formation, renforcer le CEP, optimiser le site moncompteformation.gouv.fr… Mais pour remettre en cause les objectifs et finalités du système, il faudra repasser. Pour reprendre une expression bien connue des start-uppers et créateurs d’entreprise, ils ne seront pas « capables de pivoter », de proposer une autre vision de la formation professionnelle en France.
Notre propos n’est pas ici de prendre position pour un changement radical. Après tout, le système ne fonctionne pas si mal. Et nous savons ce que nous avons, plus difficile est de savoir ce que nous pourrions avoir. Mais une chose est sûre, dans les semaines à venir le Gouvernement va devoir trancher. Soit, il reprend le manche de la réforme et impose par une loi originale et innovante une vraie nouvelle voie pour l’apprentissage et la formation professionnelle. Soit, il cherche le compromis à travers une négociation et une concertation quadripartite et il ne pourra aboutir qu’à des améliorations à la marge des dispositifs d’apprentissage et de formation. En tous les cas, il faudra bien à un moment aligner la méthode sur les objectifs et réciproquement !