Il est d’usage de dire que le salarié doit être acteur de sa formation. On entend par là qu’il doit jouer un rôle important dans ses choix de formation. On souhaite qu’il s’implique, se mobilise, se motive pour sa formation. Tout responsable de formation rêverait d’avoir des salariés le “harcelant” pour bénéficier d’une formation. Les Paritaires et les Gouvernements successivement font le même voeu.
A longueur d’accord et de textes législatifs, ils parlent de salariés ayant une forte “appétence” pour la formation, prenant l’initiative de leur formation. Ils ont créé ainsi le DIF, puis le “CPF régulé” en 2014, et aujourd’hui, le Big Bang de Muriel Pénicaud nous annonce le “CPF désintermédié”. Mais tous ces dispositifs n’ont pas fonctionné car le salarié acteur de sa formation n’est pas suffisant. Taper dans les mains et crier “Hourra ! Hourra ! salariés formez-vous” n’est pas la solution pour rendre les salariés maîtres de leur projet de formation.
Pourquoi le modèle du salarié “acteur” ne fonctionne pas ?
Le modèle du “salarié-acteur” repose sur une représentation de la formation comme une activité bénéfique à tous, présentant un intérêt indiscutable que tout un chacun souhaiterait réaliser. Cette vision est bien trop idyllique. Se former n’est pas simplement difficile d’accès (comme le pensent aujourd’hui ceux qui souhaitent désintermédier le processus d’inscription), c’est surtout une activité riche, variée, difficile à manager qui demande beaucoup d’efforts et de ténacité.
Dans la représentation de ceux qui pensent nos systèmes de formation, être acteur de sa formation, c’est simplement prendre l’initiative du choix de sa formation. Malheureusement, tout ne s’arrête pas après avoir choisi sa certification TOIC ou TOEFL ou son titre professionnel ou CQP. Après, il faut apprendre l’anglais ou acquérir la qualification correspondant au titre pro ou au CQP.
Or, les personnes capables de manager dans le long terme, en autonomie, leurs apprentissages sont au final assez rares. On parle de quelques pour-cent de la population active.
Le salarié co-auteur de sa formation, véritable enjeu de la réforme de la formation
L’enjeu aujourd’hui n’est donc pas de rendre simplement les salariés acteurs de leur formation, mais de les accompagner pour qu’ils deviennent co-auteur de leur apprentissage. C’est-à-dire qu’ils soient capables de conduire par eux-mêmes leur parcours d’apprentissage tout au long de leur vie. Pour cela, il est nécessaire de remettre l’apprenant au coeur du système de formation. Ce n’est pas seulement : “tu t’inscris sur l’appli, donc tu te formes !”, mais c’est “On est là pour t’aider à choisir tout au long de tes expériences professionnelles, les façons de te former”.
“Co-auteur de sa formation” cela signifie que la personne écrit elle-même son histoire de formation. Elle participe aux choix des objectifs pédagogiques et des activités d’apprentissage. Elle est maître de ses temps d’évaluation. C’est elle qui lorsqu’elle est prête peut demander à se faire évaluer et vérifier ainsi qu’elle peut passer à l’objectif suivant. Elle n’est plus dans un schéma déterminé où elle suit un cycle, un parcours commun à tous. Mais elle fait l’expérience de l’auto détermination accompagnée. Elle est libre d’inventer son parcours.
Alors évidemment, cela ne se fait pas en claquant des doigts ! Il est nécessaire d’accompagner, d’aider les personnes à se mouvoir dans cette formation libérée. Des expériences sont menées à tous niveaux actuellement et semblent très encourageantes. Les Compagnons du Devoir pour des apprentis niveaux V et IV, Open Classrooms pour des formations digitales mentorées pour des titres pro, C-Campus dans le cadre des expérimentations FEST que nous avons menées pour des publics d’employés, techniciens et cadres. Dans tous les cas, ces nouveaux “modèles” de formation reposent sur quelques invariants :
- Un positionnement amont pour amener le “salarié-auteur de son parcours” à prendre conscience des enjeux de sa formation,
- Un libre accès à des ressources pédagogiques (digitales ou pas) accompagné (le formateur ou le mentor le guide vers les ressources qui peuvent lui être utile mais in fine, c’est le salarié qui choisit),
- Des temps de formation présentielle qui ne sont plus de type “transmissif” mais “collaboratif” ou “co-actif” (principe de pédagogie inversée)
- Des feedback et évaluations périodiques, le plus souvent suscités par le salarié-auteur et non pas subies,
- Un effet de promotion ou de groupe pour éviter le découragement dans les moments difficiles,
- Une reconnaissance forte par son environnement des acquis de formation (soit via l’acquisition d’un titre ou une certification reconnue, soit via une évolution de son emploi).
Cette évolution d’un modèle de la formation plus ouvert, plus libre, nous l’avons entr’aperçu chez certaines entreprises lors de notre enquête auprès de 35 entreprises inspirantes (cf. ci-dessous un résumé).
Vers un renouvellement de paradigme : l’apprenant co-auteur de sa formation – cliquez ici.
La réforme en cours pourrait contribuer à favoriser son évolution. L’enjeu essentiel résidera davantage dans le CEP que dans l’appli CPF. Le CPF désintermédié via l’appli repose sur une vision du salarié-acteur de sa formation, le Conseil en évolution professionnelle, s’il va au-delà d’une simple aide au choix de la formation et devient un véritable accompagnement du parcours de formation, comme peut l’être l’accompagnement VAE, pourrait permettre de faire émerger des salariés-auteur ou co-auteur de leur apprentissage.