La formation professionnelle fut longtemps un marché hors marché. Régulé paritairement, c’était un marché émietté où indépendants et structures de tailles moyennes (quelques millions d’euros) se partageaient les quelques 17 milliards1 du marché lucratif avec des « gros » du secteur (Cegos, Demos, les CCI, l’AFPA, les Greta). Mais ces gros restaient petits à l’échelle économique classique. Bref, la formation professionnelle était un marché à part.
Et puis patatras ! La loi « Avenir professionnel » libéralise la formation en apprentissage et ubérise de façon rampante la formation des salariés avec le CPF monétisé. Là-dessus, se surajoute la crise sanitaire qui accélère la digitalisation de l’offre de la formation. Et par conséquent, transforme en profondeur les règles de gestion de la formation. Les financeurs ne sont plus seulement paritaires, mais aussi des clients privés comme sur les autres marchés. La formation professionnelle et l’éducation entre dans un nouveau monde : celui des levées de fonds. Plus d’un milliards de dollars par an, ces trois dernières années.
Voyant ces transformations arrivées, nous avons souhaité traiter de la question de la valeur d’un organisme à l’aune d’un investisseur. Que vaut un organisme de formation aujourd’hui sur ce nouveau marché ? Quels sont les critères qui permettent de dire que l’organisme de formation est pérenne et qu’il passera la décennie à venir ? Nous en avons identifié cinq majeures. Elles portent toutes sur des questions marketing, pédagogique ou opérationnelle. Nous avons préféré laisser les critères exclusivement financiers aux experts de la finance, car ils restent quasiment inchangés quel que soit le secteur.
Sur quel marché se situe l’organisme de formation ?
La première question à se poser pour évaluer la valeur d’un organisme de formation est : sur quel marché se positionne-t-il réellement. Car ce marché est vaste et très segmenté.
D’abord comme le dit, notre confrère Jean-Pierre Willems, il se sépare en deux : « le marché de la conformité et le marché libre ».
Le marché de la conformité est celui de Qualiopi, des certifications au répertoire, de l’apprentissage, du CPF et du FNE-Formation. Le marché libre, c’est l’opposé, celui où les prestations sont réglées directement par les entreprises (les plus grandes généralement) ou les particuliers (plus 1,5 milliard d’euros par an hors CPF).
Ensuite, on peut y distinguer différents sous-segments. Le marché de l’éducation professionnelle (les écoles et les formations longues et diplomantes) n’est pas celui du mass market (l’anglais, la bureautique, le développement personnel ou encore le permis de conduire et le bilan de compétences) et encore moins celui des expertises de niche (où l’organisme de formation est souvent, aussi ou surtout, un cabinet conseil ou de services à haute valeur ajoutée).
La valeur d’un organisme de formation dépendra de ce positionnement marché. Plus il sera sur un marché unique, plus il sera dépendant des aléas réglementaires (marché de la conformité) ou économique (marché libre : souvenons-nous de 2001 ou 2008 où les budgets formation se sont stoppés nets !)
Plus l’organisme sera sur un secteur pointu et en vogue (développement durable, digital…) plus il pourra défendre son « pricing power »). Mais il dépendra évidemment des aléas du secteur…
Qui sont ses clients et comment il les adresse ?
Affinant le positionnement marché, il faudra s’interroger ensuite sur les publics des formations et sa façon de les adresser.
L’organisme de formation s’adresse-t-il à des CSP++ ou des bas niveaux de qualification ? Travaille-t-il avec des grandes entreprises fidélisées ou des appels d’offre publics ou para-publics ? A -t-il une offre inter ou seulement une offre intra avec de grands chantiers pour un nombre restreint de clients ?
En répondant à ces questions, il sera facile de constater si l’organisme est sur un marché à haute ou faible valeur ajoutée, s’il est sur un business récurrent ou au contraire à recréer en permanence et si les synergies sont présentes entre ses différentes offres. Car, aujourd’hui un organisme de formation n’est plus seulement un offreur de formation, mais un pourvoyeur de solutions d’accès à la connaissance : formation, certification, mais aussi, information, communauté d’apprentissage, etc. L’enjeu des organismes de formation est la fidélisation des apprenants et sa capacité à leur vendre non plus une formation tous les cinq ans, mais un accès au savoir permanent (cf. notre article publié dès avril 2013 sur la question).
Où en est-il de sa digitalisation ?
C’est la question qui revient inlassablement à tous les dirigeants et dirigeantes d’organisme de formation après la crise sanitaire : mon organisme est-il prêt pour faire face à la digitalisation de la formation ?
Trop souvent, ils ou elles y répondent à côté, regardant quasi exclusivement leur offre de formation. Ils réduisent la question à : mon organisme fait-il du digital learning ? Or l’enjeu est bien plus large. La question à se poser est, à l’instar de ce qui se passe dans l’industrie avec l’usine 4.0 : mon organisme est-il un organisme de formation 4.0 ? Cela signifie : a-t-il déjà répondu positivement aux questions suivantes :
- Utilise-t-il les réseaux sociaux et les outils digitaux pour développer sa notoriété et légitimité ?
- A-t-il digitalisé l’ensemble de l’expérience apprenante : du contact via son site à la facturation en passant par les enregistrements qualité (Qualiopi ou autres) – Voir par exemple une solution comme Akolit ?
- A-t-il bien digitalisé son offre de formation et développé un catalogue de formation blended learning ?
- A-t-il également développé une offre d’accompagnement individuel et collectif à distance ?
- En a-t-il également développé une offre d’info-formation à haute valeur ajoutée parallèlement à son offre de formation afin de favoriser une approche de cross selling (vente croisée de cours digitaux dans des domaines proches mais différents de la formation achetée) et d’up selling (montée en gamme avec pack formation + certification ou formation + conseil / accompagnement / édition) ?
Où en est-il de sa transformation du modèle pédagogique ?
La question de la transformation du modèle pédagogique englobe pour une part la question de la digitalisation (la partie liée à la digitalisation de l’offre) mais ne s’y réduit pas. Car l’évolution en profondeur du modèle pédagogique va bien plus loin que la simple digitalisation des contenus de formation et le passage à la distancialisation de la formation via des classes virtuelles.
La question à se poser est : l’organisme de formation a-t-il intégré l’ensemble des changements du modèle pédagogique. Et ces changements sont radicaux. Pour faire simple, disons qu’il s’agit de la mise en œuvre d’un modèle de formation multimodal (digital learning, distanciel, social learning, AFEST et présentiel rénové) qui permet l’entrée sorties-permanentes et l’individualisation des pratiques d’apprentissage.
Cette transformation a des impacts sur tous les domaines de l’organisme de formation et en premiers lieux :
- Les actifs pédagogiques : l’organisme de formation possède-t-il des certifications en propre ou en partenariat ? Combien d’heures de digital learning a-t-il en propre ou en location ? Quelle est la valeur pédagogique et d’expertise de ces modules ? Quel est la pertinence et la pérennité de ses choix en matière de plateforme et d’applications pédagogiques ? Les offres de formation qu’il maîtrise sont-elles en phase avec le marché aujourd’hui et demain ?
- Les métiers : formateurs, de commerciaux, et de gestionnaires de formation sont-ils prêts à évoluer ?
- Les espaces pédagogiques (le présentiel devient plus rare mais aussi plus événementiel et l’espace de co-learning vient remplacer la salle de cours – voir à ce sujet, la très belle transformation des centres AFPA avec le concept de village AFPA) ou, ci-dessous, notre concept C-Campus My Learning Home.
Quelle est la valeur de sa marque ?
Ce cinquième et dernier critère devient aujourd’hui de plus en plus primordial.
Sur un marché qui évolue du BtoB avec prise en charge par un organisme paritaire ou une institution publique, à un marché BtoC, la marque, sa notoriété et sa légitimité, devient un enjeu déterminant.
Or les marques vivent et peuvent du jour au lendemain passer de la pénombre au jour et, réciproquement, du jour à la pénombre. Et ceci est d’autant plus vrai que nous sommes entrés dans l’ère du « Tout marketing » où les organismes de formation sont notés, « rankés ».
Pour vendre sur un marché BtoC, il ne suffit plus de répondre à un appel d’offre où tous les candidats sont à égalité de chance, puisqu’ils reçoivent tous le même AO. Il s’agit d’être visible, connu et reconnu. Et pour ce faire, il faut arriver en tête des moteurs de recherche.
Les opérateurs se trouvant sur une offre mass market 100% digital learning vont vite en faire le constat amer. La loi bien connue du « Premier rafle tout » va s’appliquer au monde de la formation comme ailleurs. Et à ce petit jeu, pas sûr que nos start-up leveuses de fonds s’imposent. Des monstres fourbissent leurs armes en coulisses, comme Linkedin learning propriété de Microsoft (également propriétaire de Teams et accessoirement de PowerPoint si vous voyez ce que je veux dire…) ou, beaucoup moins connue, la start-up chinoise Zuoyebang qui a levé 1,6 milliards de dollars fin 2020 ou son concurrent Yuanfudao qui a quant à elle réalisé un tour de table de 2,2 milliards. De quoi, investir dans l’acquisition de solutions pédagogiques et de nouveaux clients y compris en France si le marché leur était attractif !